dimanche 9 décembre 2018

La France s'ennuyait...

Mai 2017 - "France was back"!

Il y a 18 mois, les Français envoyaient à l’Assemblée Nationale une écrasante majorité de députés issus d’un mouvement tout à fait nouveau, inédit, presque transgressif, dans la dynamique de l’élection d’Emmanuel Macron, un tout jeune président qui, à l’inverse du « cursus honorum » classique, venait d’adresser un camouflet à tous les politiciens de la vieille école. Son programme : redonner à la France une place prépondérante dans le monde.

Opération réussie, chapeau l’artiste. La voix de la France était redevenue audible après des années d’indigence. Notre président réussît de plus le tour de force d’être le premier chef d’Etat invité en visite officielle à Washington par Donald Trump, même s’il se fît quelque peu manœuvrer par le bouillant locataire de la Maison Blanche. Homme de l’année, « The Man of the Year », fin 2017, le monde entier ne cachait pas sa fascination pour le président français, entraînant dans son sillage une attractivité pour notre pays jamais vu auparavant. Sauf qu’à parcourir des milliers et des milliers de kilomètres pour promouvoir la marque France aux quatre coins du monde, le nouveau président en a négligé les gens de sa propre maison.

Il a cru que ceux-ci lui seraient désormais d’une infaillible allégeance, pensant même que les 65% de Français qui l’avaient porté à l’Elysée constitueraient un socle sur lequel s’appuyer durablement alors que pour une large part, ils l'avaient choisi par défaut, de crainte des extrêmes. Il lui fallait, en conséquence, considérer que sa base électorale, celle du premier tour de l’élection présidentielle, regroupant 24% des suffrages exprimés, ne constituerait en cas de coup dur qu'une garde rapprochée.
Cher Président, vous avez commis une première erreur, pensant que votre élection constituait une adhésion inconditionnelle à votre programme. Or, il vous aurait fallu en priorité vous adresser à ces électeurs du second tour et vous affirmer auprès d'eux comme le Président de tous les Français afin non seulement de gagner leur confiance mais aussi de les rassurer sur le choix qu'ils avaient fait en votant pour, malgré leurs convictions. C’eût été possible tant vous incarniez la figure idéale du « dégagisme » qui avait mis à bas la règle éculée de l’alternance entre bien-pensance de gauche et bien-pensance de droite. 

Lors de la campagne, vous avez publié une profession de foi sous le titre « Révolution », un ouvrage que peu ont lu mais dont le titre résumait à lui seul ce que serait votre quinquennat si vous étiez élu : la sortie de 30 voire de 40 ans d’un système épuisé et épuisant, figé, même rouillé, englué dans un modèle d'un autre âge rendant aléatoires les désirs d'émancipation, de création,d'imagination et d'invention auxquels aspiraient toute une génération. Vous avez redonné du sens au rêve français. Mais les mois ont passé et peut-être vous êtes-vous embourbé dans l’illusion que votre élection étant à elle seule une révolution, le but était atteint alors qu’elle n’en était que le départ. Encore une erreur d'appréciation. Votre élection était l’amorce d’une dynamique révolutionnaire, ce pour quoi la France aime historiquement à se mobiliser. Sauf que l’élan suscité par votre arrivée au pouvoir a malheureusement trop vite été ternie par le sentiment que le pays continuerait d’être asphyxié par des règles et des normes tatillonnes, sous la férule d'une administration sans empathie, ne justifiant son existence que par le mal qu’elle peut faire. Finalement, rien de bien nouveau sous le ciel gris. 

Votre élection a pourtant suscité une telle espérance que le mouvement En Marche a piétiné tous les autres partis, permettant à vos candidats, pour la plupart des candides de la politique de voler leur fauteuil à des députés aguerris, des militants professionnels qui avaient, année après année, âprement gravi les échelons de leur parti. Ces gens éjectés du jour au lendemain, malgré leur enracinement dans leur circonscription ne risquaient pas d’être des alliés. Au contraire, ils avaient des réseaux dont ils ne feraient surtout pas profiter les rookies d’En Marche. Et une fois venus les jours difficiles, faute d’appareil, faute d’ancrage, le mouvement créé par le Président risquait de perdre en crédibilité ce qu’il gagnerait en rejet.

Nous en sommes arrivés là aujourd’hui. Les 75% d’électeurs qui ont voté pour d’autres candidats au premier tour de l’élection présidentielle se rebellent et se retrouvent ensemble pour dire « A Bas Macron », qu’ils soient de gauche de droite ou aux extrêmes. Les effets positifs des réformes entamées se faisant attendre, la baisse du chômage n’étant toujours pas au rendez-vous, les hausses de salaire annoncées dues à la baisse des charges étant plutôt ressenties comme une « fake news », le durcissement de la taxe carbone pouvait servir d’étincelle à une « révolte des gueux ». 
Procédant d’une erreur tragique de trajectoire, d’une obstination mal à propos, d’une rigidité administrative aveugle et sourde à la réalité, la hausse des taxes sur le carburant est intervenu à un moment où le prix du baril de pétrole augmentait, en somme la double peine. Même les plus ardents soutiens de la France Macronienne ne peuvent que se lamenter de devoir justifier une telle absence de souplesse. 
Mais le pire est d’apprendre aux infos que la hausse des taxes sur le carburant n’a que peu à voir avec la transition écologique. C’est à partir de là que le vase déborde. On connaît la suite. Notre président a certes eu la bonne formule lorsqu’il a parlé de Gaulois réfractaires mais il a péché par innocence, ne comprenant pas, contrairement à ses prédécesseurs, qu’il faut surtout caresser les Français dans le sens du poil, quitte à faire fumer le carnet de chèques, faute de quoi, c’est la révolution. Ce peuple ne dort jamais que d'un oeil et sait fourbir ses armes quand il a le sentiment d'avaler trop de couleuvres. 

Il pense, à tort ou à raison que le pays lui est redevable de tout sous prétexte qu’il paye des impôts. Une réserve cependant, seuls 40% des Français payent l’impôt sur le revenu, ce qui veut dire que près des deux tiers n’y est pas assujetti. 80% des Gilets Jaunes ne paye pas d’impôts sur le revenu. Mais alors de quoi se plaignent-ils. A entendre les revendications, ils sont les premiers à vouloir plus de justice fiscale, dénonçant les cadeaux faits aux riches, alors qu’eux-mêmes profitent plus des avantages sociaux que notre pays dispense avec prodigalité qu’ils n’en sont les victimes.

Gilets Jaunes, les nouvelles couleurs de la France?
Le profil des Gilets Jaunes correspond à la France dite profonde, celle qui habite les campagnes oubliées, les petites villes dont les centres de la vie d'autrefois ont disparu au profit des galeries marchandes périphériques, celle aussi de ces villages de carte postale qui n'ont  plus ni commerces ni services publics, celle enfin du « Rust belt », qui a perdu son poumon industriel, ses fumées, le bruit de ses hauts fourneaux bref, celle d’un pays qui meurt loin de la transition écologique.

Or, les ruraux ont été les premiers lors de l’élection présidentielle à se défaire de leurs étiquettes politiques traditionnelles au profit des députés de la République en Marche. Ils espéraient par là pouvoir enfin sortir de l’ornière fangeuse dans laquelle ils s'enfonçaient depuis trop longtemps, au rythme de promesses non tenues et de miettes distribuées avec parcimonie.
L’attente était aussi forte que la déception est grande à présent. Le nouveau gouvernement n'a malheureusement rien entendu du cri de désespoir que lui adressaient les Français des territoires ruraux. Pour tous ces gens qui ne veulent pas voir mourir l'espace rural, éleveurs, paysans, artisans, commerçants, professions libérales, le fait d'adhérer au mouvement des Gilets Jaunes est l'ultime condition de leur survie avant l'exil en métropole.

N'oublions pas cependant que la grogne a commencé suite à l'incompréhension, voire même  l'incongruité d'une mesure absurde, la baisse de 5 Euros des APL. Une première erreur de trajectoire: car si elle était pratiquement insignifiante, cette baisse a été pour l’opposition une formidable occasion de retrouver des couleurs après la gifle reçue lors de l’élection. Et ce d’autant plus que cette amputation d’une aide solidaire, si minime soit-elle, donnait le sentiment que l’on faisait payer par les pauvres les largesses consenties aux riches, notamment suite à la suppression de l'ISF.

La hausse de la CSG pour les retraités était une promesse de campagne. La promesse a été tenue, certes, mais peut-être aurait-il fallu l'étaler ? L’argumentaire était pourtant assez bien ficelé. Demander un effort aux aînés, détenteurs selon les statistiques de la majeure partie de la richesse ,nationale pour mieux rémunérer les actifs, moins favorisés, relevait d’un souci de justice tout à fait honorable. La mesure est très mal passée. Pourquoi ? Une nouvelle erreur de trajectoire en raison d’un problème évident de calendrier. On a mis la charrue avant les bœufs en oubliant, comme trop souvent que la comptabilité ne doit pas primer sur l’humain. Notre président a annoncé la suppression de la Taxe d’Habitation par paliers sur 3 ans, une baisse des charges salariales par paliers dans la durée, jusque là rien à dire. Mais pourquoi n’a-t-on pas fait la même chose pour la CSG, une hausse par paliers et dans la durée, de quoi la rendre indolore et d’autant plus facile à vendre à l’opinion qu’on maintenait les équilibres.  

Florange: symbole du désastre de l'industrie française
Restent les dérives verbales. Un président n’aurait pas dû dire tout ça. Là encore, les remarques à l’emporte pièce sont autant de grain à moudre pour ses opposants. « Les gens qui ne sont rien », effectivement, quelle maladresse. Beaucoup se retrouvent dans cette « populace » qu’Emmanuel Macron donne l’impression de ne pas considérer. Et beaucoup parmi elle ont voté pour lui! Ce n’était pas la meilleure formule pour les en remercier. Maintenant, n’exagérons rien, les expressions telles que « les Gaulois réfractaires », « il n’y a qu’à traverser la rue », « un pognon de dingue » ne choquent que les faux ingénus que cela arrange bien. Le chef de l’Etat semble aimer une forme de provocation mais on se scandalise à l’excès de ses paroles malencontreuses tandis que le milieu politique foisonne d’invectives et d’outrances. Les messages qui circulent en masse sur les réseaux sociaux ne font pas dans la dentelle tandis que les commentaires des articles de presse en disent long sur la haine qui circule au sein de la société française. Le Président y est en permanence copieusement insulté, parfois menacé de mort, et ce d’une façon d’autant plus inquiétante que cette haine contre lui semble amplifiée par des motivations antisémites et fascisantes.

Emmanuel Macron doit dans les heures qui viennent s’adresser aux Français pour leur proposer un nouveau pacte social. Est-ce que ce sera le coup de sifflet qui mettra fin à la récréation? Est-ce que ce sera le départ d’un grand mouvement de réconciliation nationale ? Est-ce que ce sera un chèque de plus pour passer les fêtes en douceur ? Est-ce que ce sera le lancement d’un grand chantier vérité pour en finir avec un modèle social vétuste, onéreux et inégalitaire ? Faut-il rétablir l’ISF, un impôt en trompe l’œil qui a en son temps coûté au pays beaucoup plus qu’il n'a jamais rapporté ? Faut-il maintenir en l’état la constitution de la 5ème République et jumeler l'élection présidentielle aux élections ? Ne peut-on envisager des élections à mi-mandat? Faut-il continuer de faire peser sur le seul Président de la République tout le poids de l’action publique ? Faut-il prendre le risque de mener une politique à la Trump en réduisant massivement les impôts et les cotisations des entreprises pour faire baisser drastiquement le chômage et relancer la compétitivité économique ? Faut-il refondre les services publics en réduisant leurs coûts et améliorant leur qualité ? Faut-il continuer à laisser consumer nos rares chances de compétitivités dans l'enfer fiscal qu'est la France ?

Comment redonner confiance à ceux qui ont déserté les bureaux de vote, n’attendant plus rien d’un pouvoir qui sait leur prendre sans jamais rien leur rendre. Ceux-là se retrouvent parmi les Gilets Jaunes. Ils ont enfin le sentiment d’avoir avec eux des gens qui comprennent leur détresse parce qu’ils la vivent aussi. C’est peut-être à eux qu’il faut s’adresser en premier parce que leur démarche courageuse mérite d’être entendue.
Il y a du pain sur la planche. La mission est hasardeuse, voire à haut risque. Ce sera pour le Président le discours de la dernière chance, le discours qui redonnera de la confiance ou précipitera le chaos.
Et enfin, dissoudre l’Assemblée Nationale ? Ce pourrait être un coup de génie… ou un coup de poker.         

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