lundi 27 janvier 2020

Philippe Martinez : un arrière-goût de lutte finale


                Le moins que l’on puisse dire est que le bras de fer qui oppose régulièrement le gouvernement et la CGT atteint là son paroxysme. Pour le syndicat forgé à la lutte des classes, inféodé aux thèses marxistes et réputé pour son mépris envers les représentants du capitalisme que sont les patrons, seules comptent à ses yeux ses propres propositions même si celles-ci sont généralement en décalage total avec le champ des possibles. Or, voilà qu’une fois n’est pas coutume, le projet de réforme des retraites auquel la CGT s’oppose depuis l’automne avec la plus grande détermination, risque bien d’être conduit à son terme par le premier ministre Edouard Philippe. Une telle probabilité à le don d’irriter Philippe Martinez et son Etat-Major, désormais sur le pont jour et nuit pour coordonner des actions nécessairement de plus en plus virulentes.

Bloquer, chahuter, dégrader, menacer. Tout est devenu bon pour montrer que le syndicat est là et bien là, quitte à gonfler, sans aucune retenue, les chiffres de la rue. Ils étaient un peu plus de 300 000 dans toute la France lors de la dernière journée de mobilisation selon le Cabinet Occurrence dont l’objectivité et le sérieux ne font aucun doute. La CGT en a annoncé 1 300 000. Et pourquoi pas 10 millions tant qu'on y est. Cela pourrait passer pour un canuler mais on constate, avec tristesse, une récente allégeance des médias à ce syndicat car, ceux-là mêmes qui mandatent Occcurence pour effectuer un comptage en toute neutralité n’osent plus qu’à demi-mot citer les résultats du cabinet indépendant tout en s'étendant sur ceux avancés par la CGT. Quant aux chiffres habituels de la Préfecture de Police, on n'en parle même plus. Bravo les radios, bravo BFM, quel courage ! Mais surtout bravo Monsieur Martinez, indéniablement, c’est toujours vous le boss.

Manifestation contre la réforme des retraites
Ils sont des millions.....
Malgré la multiplication des opérations coup de poing, Edouard Philippe campe droit dans ses bottes avec un flegme quasi désarmant pour l’adversaire. Il se démarque ainsi, à son avantage, de son mentor Alain Juppé qui lui aussi avait affiché une totale détermination avant de jeter l’éponge. Le premier ministre possède, à n’en pas douter, l’étoffe d’un jusqu’au boutiste, une qualité généralement réservée aux syndicats eux-mêmes. Et donc, Philippe Martinez qui voyait en sa mobilisation contre la réforme des retraites une promenade de santé dont il serait sorti victorieux, ressent cette résistance du gouvernement comme un insupportable affront. Un pouvoir qui refuse de plier, c’est en France du jamais vu !
Malgré la grève des transports la plus longue de l’histoire, malgré des journées et des journées de manifestations aux quatre coins de l’hexagone, le projet de réforme tant honnis est toujours sur la table. Et il vient même de passer en conseil des ministres. Il sera, de toute évidence, voté en Assemblée, contre la volonté du peuple si l’on en croit les sondages. Rappelons au passage que si le gouvernement de François Mitterrand avait suivi les sondages, la peine de mort n’aurait jamais été abolie.
Après 1 mois et demi de grève, à la SNCF, on reprend le travail, à la RATP aussi, l’air bougon, la mine défaite, même pas sûr que les 45 jours à battre le pavé seront payés, une première. La CFDT a trahi, l’UNSA a trahi, ils ont tous trahi. Pas de pitié pour les traîtres. Pour Philippe Martinez et sa garde il ne reste plus qu’à ouvrir les cages et lâcher les fauves. La grève n’ayant servi à rien surtout en région avec, face à soi, un gouvernement qui tient le choc, il n’y aura plus d’arrangement. Ça va cogner. La grève ne fait plus peur, on va changer de méthode, histoire de montrer qui commande dans ce pays.  EDF monte à présent au créneau. On coupe le courant pendant des heures, de façon prétendument ciblée mais plus à l’aveugle qu’autre chose, frappant des malades, piégeant des gens dans l’ascenseur ou dans les transports. Ces opérations sont légitimes, selon Monsieur Martinez étant donné que le gouvernement s’obstine.
Philippe Martinez
Et à la fin, c'est toujours la CGT qui gagne. Il n'y a aucune raison
que cela change

On se rend bien compte qu’on est désormais loin de la revendication sociale. Celle-ci est devenue un affaire politique. En effet, que ce soit à Enedis ou à RTE, on ne crie pas famine, que je sache, on fait même partie des plus privilégiés si l’on ne s’en tient qu’aux milliards que perçoit le comité d’entreprise. En revanche, couper l’électricité peut vite précipiter le pays dans le chaos. Et pour enfoncer le clou, on bloque les ports, du moins ce qu’il en reste. Là encore, on sait combien les dockers sont les plus mal lotis, eux qui disposent pourtant d'un réel pouvoir de chantage. 

Port de Marseille bloqué
Avis au gouvernement : on ne joue plus
En France, on est souvent docker de père en fils, les avantages y sont plus que conséquents et les heures de travail peu nombreuses. Mais quand on est docker, on est d’abord à la CGT et on sait faire respecter les consignes d’en haut. Mais la CGT ! Marseillais, auriez-vous perdu la mémoire ? Votre port, ce fleuron, jadis le premier de Méditerranée, a été littéralement pillé par les siens avant d’être définitivement saboté par les équipes du syndicat à la faucille. Sans parler de la grève de 1950 organisée à des fins purement politiques, le syndicat ultra-majoritaire chez les dockers est parvenu à leur obtenir des privilèges exorbitants, avec un statut les autorisant à être payés au prix fort sans même en restant à la maison. Les aconiers qui les employaient ont progressivement disparu du fait que lassées d’être mises à l’amende, les compagnies marchandes ont dévié leurs porte-containers vers les ports de Gênes et de Barcelone qui n’en demandaient pas tant. Et en France, on a préféré détourner le regard, craignant un de ces mouvements sociaux qui n’ont, en fait, rien de social mais savent d’un coup de baguette syndical, bloquer tout un pays de façon à rappeler qui gouverne vraiment.

Le port de Marseille dont les grues s'affairaient sans relâche est peu à peu devenu une carcasse silencieuse aux bassins déserts, ses quais n’abritant plus que des cargos rouillés en manque d'affréteur. Ah ! bien sûr, les paquebots de croisière sont là pour créer l’illusion d’une seconde chance mais ce n’est qu’un effet de trompe l’œil. Car qui à Marseille a pu oublier le scandale de la SNCM, cette société littéralement phagocytée par la CGT où l’on avait embauché les copains et les copains des copains, tous de mêche. 

Baroud d'honneur
SNCM, la triste fin d'une entreprise nationale pillée par ses propres
salariés
Pour ceux qui ne s’en souviennent déjà plus, la SNCM était une compagnie nationale jouissant d’un monopole sur la liaison Marseille-Corse, un vrai service public dans sa définition la plus classique, c’est-à-dire financièrement ultra-déficitaire et sujet à des mouvements sociaux récurrents. Elle a fini par disparaître, rongée par les grèves orchestrées au moment de forte affluence et malgré quelques opérations coup de poing comme les affectionne la CGT. Rappelons-nous simplement le détournement du Pascal Paoli, à l’époque le navire phare de la flotte, par une poignée de syndicalistes radicaux au nom de la défense du service public. Cela faisait bien longtemps que les mêmes avaient détourné à leur profit ce sacro-saint service public dont ils se réclamaient haut et fort. Et la SNCM a été coulée. Aujourd’hui, le privé a pris le relais et la liaison entre la Corse et Marseille conserve sa mission de service public tout en étant bien mieux assurée.

Pour la CGT, les années passent mais la doctrine reste intacte. Dans un contexte dominé par l’esprit de lutte sociale, ouvrière ou finale, on n'a pas à discuter avec le patronat, on le fait plier ou on le délocalise. C’est de cette façon que sera imposée la salutaire dictature du prolétariat, toujours vivace dans l'âme des militants bien qu'officiellement abandonnée par la direction du Parti Communiste. A ce propos, c'est suite à  cette inflexion que, fidèle au Manifeste du père Karl, Philippe Martinez a préféré rendre sa carte du PCF, devenu selon lui, trop mou et conciliant avec l'ennemi public n°1, à savoir le libéralisme.

En d’autres temps, la pression syndicale portait ses fruits mais qu’en est-il aujourd’hui, dans un univers mondialisé où s’est établie de façon pérenne une interdépendance économique entre les états ? Les patrons ont contourné les piquets de grève, leur confiant les portes fermées de leurs usines tandis qu'ils partaient ailleurs, vers des pays où le confort social importe peu, même si ceux-ci se proclament pour la plupart socialistes, voire communistes à l’instar de la Chine ou du Vietnam. Un réel paradoxe lorsqu’on sait que l’idéologie que revendique la CGT est bien plus proche de celle de ces régimes indifférents aux libertés de chacun et où la grève y est proscrite que des libéralités du monde occidental.

Soyons francs, il y a bien longtemps que la CGT se désintéresse du secteur privé. Celui-ci ne lui a rapporté que trop de déboires. Depuis qu’elle a admis n’avoir plus guère d’emprise sur la marche des entreprises, ses mobilisations ont été bien molles, voire d’aucun effet, incapables d’empêcher liquidations et démantèlements. Un bémol cependant, la CGT a peut-être souvent joué la surenchère en matière de revendication mais l’Etat porte aussi une lourde part de responsabilité en faisant peser uniquement sur les gens qui travaillent le poids de son si généreux système de redistribution, que ce soit en matière d’allocations, de pensions, de revenus minimaux, de subventions, et bien sûr de retraites…. Mieux vaut, comme c’était déjà le cas sous l’Ancien Régime, pouvoir vivre de ses rentes.  

Dans un même esprit de lutte contre le fameux "Grand Capital", on en entend certains crier au scandale à l’annonce des dividendes perçus par les actionnaires du CAC 40. Ils devraient plutôt se poser la question du pourquoi et du comment. Pourquoi les entreprises privées gagnent-elles tant d’argent tandis que celles du public ne cessent d’en perdre. Posons-même le problème autrement : pourquoi les entreprises soumises à la concurrence parviennent-elles à faire des bénéfices alors que celles qui sont en situation de monopole sont  bizarrement dans le rouge. 

l'Hôpital St Joseph à Marseille, un établissement privé qui fait pâlir
d'envie l'APHM et pose de nombreuses questions sur la gestion
des Hôpitaux publics
Posons encore le problème autrement : à Marseille, l’Hôpital St Joseph est un établissement emblématique que l’on croit généralement public mais qui est, en fait, privé à but non lucratif. Il est réputé pour sa maternité mais aussi la qualité des soins dispensés, la propreté des locaux et la haute performance de ses équipements. En comparaison, les hôpitaux vraiment publics de la ville, relevant de la fameuse APHM  (Timone, Conception, Nord) sont dans état de délabrement à la limite du scandale. Ils manquent cruellement de moyens, nous dit-on. Mais qu’on me pardonne mon ignorance en la matière : comment se fait-il qu'ils n'ont pas de moyens alors qu’ils tirent leurs ressources de l'Assurance Maldie, au même titre que St Joseph. Et, contrairement à ce qu’avance régulièrement Mme Aurélie Philippetti pour opposer l’hôpital public à l’hôpital privé, ce dernier ne soigne pas que les riches car même si vous êtes pauvre, vous ne payerez pas un centime de plus à l’hôpital privé qu’à l’hôpital public, sauf peut-être si vous avez voulu la télévision dans votre chambre, et encore. Elle confond, certainement de façon non anodine, le système français et le système américain sauf qu’à force de faire de la politique par idéologie on s'invente une image conceptuelle fort loin de la réalité. Mme Philipetti, même à l’Hôpital Américain de Neuilly, on vous prend la carte Vitale, pas la Carte Bleue.

Mais revenons à nos blancs moutons !  En sa qualité de tête de pont de l’Internationale ouvrière auprès du monde du travail, la CGT a, dès avant la Guerre Froide, infiltré les secteurs stratégiques de l’économie de manière à bloquer le pays le jour où l’Armée Rouge débarquerait en France. Tout cela appartient désormais au passé mais le syndicat sait aussi que c’est là que réside encore sa force en cas de conflit social. Il suffit de quelques individus bien placés pour « foutre le bordel »…. un peu comme les bolcheviks ont pris le pouvoir en Russie alors qu’ils se comptaient sur les doigts d’une main, tout simplement en postant leurs hommes aux aiguillages pour neutraliser tout le système ferroviaire. 

Nous sommes en 2020 et il serait temps que la CGT module son discours tant elle risque de passer à la trappe et se retrouver, si elle persiste dans sa stratégie d’un autre âge, au cimetière des éléphants de la gauche démocratique et populaire. Le syndicat n’a d’autre idéal que l’avènement de la révolution prolétarienne alors même que les régimes qui s’appuient sur cette doctrine l’ont en fait trahi en instaurant, en lieu et place, un capitalisme étatique dénué de toute morale qui profite d’abord à son cénacle, bien loin de l’avenir radieux que promettaient ses théoriciens.

Quel avenir, d’ailleurs ! Et si nous n’étions que les ultimes rejetons d’un idéal démocrate obsolète, les rescapés d’une époque révolue illusoirement respectueuse du verdict des urnes alors qu’aujourd’hui le pouvoir appartient aux réseaux sociaux, à des anonymes propagateurs de haine bien protégés derrière leur pseudo, aux trolls, aux faiseurs de fake-news et aux anathèmes de religieux enturbanés issus des temps obscurs. La CGT, c’était peut-être bien avant mais, faute de revoir sa posture, le syndicat au drapeau rouge risque bien de voir son avenir repeint en gris.

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