mardi 12 mars 2019

Plein Feux sur l'Ethiopie


Les armoiries de l'Empire d'Ethiopie
L’Ethiopie reste encore dans les mémoires comme le pays où, en 1985, une sécheresse sans précédent, conséquence d'un phénomène climatique exceptionnel, provoqua une famine qui frappa près de 8 millions de personnes. Ce drame alarma le monde entier malgré la répulsion qu'inspirait alors la dictature militaire au pouvoir.
Prise à témoin, l'opinion fit cette année là un tube planétaire de la chanson caritative We Are the World interprétée par les chanteurs américains les plus populaires de l’époque, contribuant au déploiement d'une aide internationale de grande ampleur. 

L’Ethiopie est aussi connue pour être le berceau de l’humanité, un véritable paradis pour les paléontologues qui y ont entre autres exhumé les restes de nos tout premiers ancêtres. Qui n' a pas entendu parler de la fameuse Lucy qui vivait sur les bords de l'Awash il y a plus de 3 millions d’années.

Appelée autrefois l'Abyssinie, l'Ethiopie est surtout la lointaine héritière de l’empire aksoumite dont l’écriture rivalisait déjà sous l'Antiquité, avec le grec. Mentionnée aussi comme le royaume du mythique prêtre Jean, on l’assimile dans les textes bibliques au pays de la reine de Saba qui eut, dit-on un fils du Roi Salomon.
Alors qu’elle avait réussi à conserver son indépendance au temps de la colonisation, l’Ethiopie dut capituler en 1936 face à l'invasion brutale des troupes de Mussolini. Elle ne put résister longtemps contre une armée forte de 400 000 hommes, massacrant les populations civiles à coup de gaz moutarde.
Cela faisait un moment que l’Italie convoitait les riches terres agricoles des plateaux éthiopiens, excitée à l’idée de reconstituer l’ancien Empire Romain mais surtout frustrée d’avoir vu l’Angleterre et la France se partager égoïstement une large part de l’Afrique. Bien qu’elle n’aura duré que peu de temps, l’occupation italienne laissa le pays exsangue, laminé. 

L'Ethiopie a perdu son accès à la mer lors de l'indépendance de la province
d'Erythrée.
La capitale Addis-Abeba est reliée depuis 2016 à Djibouti (territoire français jusqu'en 1977)
par une ligne ferroviaire flambant neuf entièrement réalisée par la CCECC, le rival chinois
d'Alsthom-Siemens
Les années d'après-guerre ne permettront pas à l'Ethiopie de sortir du marasme économique et politique. L'Erythrée est pour elle une épine dans le pied pour laquelle les tentatives d'accord avec les Etats-Unis ou l'URSS n'apportent aucune solution.
En 1974, l’empereur Haïlé Sélassié qui règnait depuis 44 ans, héritier selon la tradition des Salomonides et descendant de la reine de Saba, est renversé par un coup d’état militaire. Cela faisait plusieurs années que le pouvoir était confronté à des famines répétées et à une contestation animée par l'hostilité d'une population condamnée à la précarité envers une aristocratie effrontément prospère.
Après s'être servie des protestations pour arriver au pouvoir, l’armée instaure à la surprise générale un régime autoritaire, exécutant les dignitaires du régime et réprimant le mouvement étudiant. Le nouvel homme fort du pays, le colonel Mengitsu affiche sa volonté de mettre en place une république de type socialiste en procédant à la collectivisation des terres et à la nationalisation des entreprises. 

Un pays réputé pour ses paysages à couper le souffle
Face aux réticences des syndicats, le pouvoir bascule dans la dictature.
Les opposants sont arrêtés, pour beaucoup exécutés, les purges touchent tous les secteurs de la société. Afin de sortir de la crise qu’elle a elle-même provoquée, la junte se tourne vers Moscou signant un accord d’assistance militaire. Les derniers Américains présents sur le territoire sont expulsés.
L’Ethiopie sombre alors dans la « Terreur Rouge ». Avec l’aide de l’URSS et de Cuba, le gouvernement donne libre cours à sa paranoïa, proclamant « pour un révolutionnaire abattu, mille contre-révolutionnaires exécutés ».  En conséquence, 5000 étudiants seront tués en une semaine. Tandis que ses dirigeants confisquent les rares ressources dont disposent encore le pays au profit des dépenses militaires, l’Ethiopie s’enfonce dans un désastre humanitaire sans précédent. La famine y devient endémique tandis que les populations sont arbitrairement déplacées par millions.

Dès le milieu des années 80, les mouvements séparatistes régionaux progressent avec à l'appui des rébellions de plus en plus calamiteuses pour une dictature aux abois. En 1991, l'effondrement de l’Union Soviétique signe la fin des années Mengitsu. Les divergences des organisations à l’origine du renversement du régime rendent toutefois difficile l’instauration d’un gouvernement d’union. L’Erythrée acquiert notamment son indépendance en 1993. Le multipartisme étant reconnu, les Ethiopiens se dotent en 1994 s’une assemblée chargée de rédiger la nouvelle constitution. La route sera encore longue vers la démocratie, d’autant que la région traverse à nouveau une situation chaotique avec l'arrivée de mouvements islamistes violents.

Après des années de tâtonnements malgré un bond économique significatif, 2018 s’annonce enfin sous des auspices prometteurs. Le nouveau premier ministre Abiy Ahmed réalise, en quelques semaines ce que ses prédécesseurs n'ont jamais réussi en deux décennies. Son CV a effectivement de quoi séduire : de père musulman, de mère chrétienne orthodoxe, lui-même protestant, il est lieutenant-colonel de l’Armée éthiopienne, a été formé aux Etats-Unis et en Angleterre en qualité d'expert en cybersécurité; il est aussi ancien ministre des Sciences et des Technologies.

A peine élu, Abiy Ahmed  propose une réconciliation avec l’Erythrée, le frère ennemi, qui, de guerre lasse, se laisse convaincre par la main tendue inaugurant une normalisation des relations. Il resserre aussi son équipe ministérielle, instaurant la parité hommes-femmes, une véritable révolution.
Il fait dans la foulée libérer les prisonniers politiques et propose à l’ancienne opposante emblématique, Birtukan Mideksa surnommée la "Mandela d’Ethiopie » de rentrer d’exil afin de prendre la tête de la Commission Electorale.
En juillet intervient la réconciliation entre les églises chrétiennes ; en novembre ont lieu les premières arrestations dans la lutte contre la corruption mise en place par le nouveau pouvoir ; en décembre est créée une commission de réconciliation destinée à mettre un terme aux violences inter-ethniques.

Sahle-Worrk Zewde
A 69 ans, cette universitaire et diplomate aguerrie qui a fait ses études
en France
incarne le nouveau visage de l'Ethiopie
En octobre 2018, c'est une nouvelle révolution de palais: Sahle-Work Zewde est élue présidente de l’Ethiopie, la première femme à accéder à ce poste, la seule femme à occuper cette fonction en Afrique. Francophone, diplômée de l’Université de Montpellier, elle a été ambassadrice d’Ethiopie dans plusieurs pays africains et en France de 2002 à 2006. Elle était encore récemment représentante spéciale du Secrétaire Général des Nations Unies auprès de l’Union Africaine.

Le président Emmanuel Macron se rend aujourd’hui en Ethiopie. Il était enfin temps qu'un président français s’intéresse à ce pays qui a réussi à amorcer un virage économique de grande ampleur. Les investisseurs chinois et les émirats du Golfe n’ont d’ailleurs pas attendu pour y placer leurs jalons, profitant d’une stabilité politique retrouvée et de la volonté du gouvernement éthiopien d’attirer les capitaux étrangers. 

Une usine chinoise en Ethiopie
le nouvel investisseur tient à montrer qui est le maître
Le temps des nationalisations a vécu mais il faudra cependant encore du temps pour que l’Ethiopie parvienne à une réelle libéralisation de son économie, faute notamment d’un marché boursier local et d’un lourd passé protectionniste. La croissance y atteint cependant les 10% , un chiffre record sur le continent africain à relativiser toutefois, étant donner un taux de chômage toujours important parmi les jeunes. L’Etat éthiopien veut de ce sens poursuivre à grands pas le développement de son économie dans le secteur manufacturier. 

Aujourd'hui, il n'est pratiquement plus une rose qui ne vienne pas d'Ethiopie
Profitant également de conditions climatiques favorables, l’Ethiopie, déjà reconnue pour produire le meilleur café du monde, est aussi devenue en peu de temps une serre géante dont la production horticole, détenue majoritairement par des firmes hollandaises a acquis un leadership absolu sur le marché européen, en raison également d’une main d’œuvre jusqu’à présent à très bas coût. La France se réveille certes un peu tard mais, comme dit le proverbe, mieux vaut tard que jamais. Les industriels français se comptent effectivement sur le bout des doigts alors que la Chine, dont les usines locales tournent à plein rendement, est en comparaison le plus gros employeur du pays. Bénéficiant d’une main d’œuvre docile et peu coûteuse, les Chinois ont ainsi délocalisé en Ethiopie une part de l’industrie textile et de l'habillement. 

l'église Bete Gyorgis taillée dans le roc à Lalibela
Reste le tourisme. L’Ethiopie possède non seulement des paysages mais un passé architectural exemplaire. Le président français va notamment se rendre sur le site de Lalibela qui constitue un ensemble exceptionnel d’églises rupestres du XIIIéme siècle. Il est envisagé que la France apporte son concours financier à leur restauration.

Certains se sont soudain réveillés, raillant le peu d’ambition de notre pays, pensant peut-être que l’Ethiopie (qu'ils ont du mal à placer sur la carte)  nous attendait comme le messie, tandis que d'autres, plus à gauche, y ont vu la volonté d'un président VRP d'aller placer ses amis les grandes patrons capitalistes. Nous pouvons certes être heureux que la présidente Mme Zewde soit francophone avérée mais nous ne pouvons pas, une fois de plus, nous empêcher de croire que le monde tourne autour de nous.
Cette arrogance bien française, qui nous rend,soi-disant, si indispensables, quand comprendrons-nous qu'elle nous fait passer pour une bande de "clowns tristes". Nous n'y gagnons que de l'animosité à notre égard. Mettons d’abord un premier pied et commençons à tisser un lien durable. Nous avons des atouts indéniables à faire valoir dans le domaine culturel, ce n’est déjà pas si mal, et surtout cessons de pleurnicher sous prétexte que les Chinois sont arrivés avant nous. A qui la faute ? 

Fenêtre cruciforme (XIIIème siècle) à Lalibela
Le site fut imaginé à l'époque comme une Nouvelle Jérusalem
destinée à recevoir les pélerins chrétiens empêchés de se rendre
en Terre Sainte depuis l'invasion musulmane
      

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