dimanche 10 mars 2019

L'Europe, de l'Atlantique à l'Oural


L’Europe, le plus petit des cinq continents est comme la grenouille qui voulait se faire aussi grosse que les Troisgros, entendons les Etats-Unis, la Chine et la Russie. Au bout du compte, elle s’est dégonflée comme une baudruche percée. Les responsables, inutile d’aller chercher très loin, on a compris, les mouvements populistes inspirés par les Big Three qui ont choisi de saborder leur propre continent pour plaire à leurs commanditaires. 

Bruxelles , capitale de l'Union Européenne
un rôle systématique de bouc-émissaire dès que ça va mal quelque part
Au milieu de ce suicide programmé à grande échelle, subsistent encore quelques foyers de résistance. On s’en amuse, on les prend pour les chevaliers anachroniques des causes perdus, des rêveurs impénitents qui ne connaissent même pas leur propre pays. L’Europe a ainsi vécu, née en 1957 à Rome, mariée à Maastricht en 1992. Mère de famille pourtant prometteuse, elle a commencé à subir les outrages du temps avant la perte inconsolable d’une de ses enfants les plus charismatiques, la patrie de Daphne du Maurier et des Beatles, celle-là même qui brillait par sa langue si expressive au sein de toutes les assemblées. Depuis, tout le monde se chamaille. Chacun veut rentrer à la maison et se barricader dans ses murs. 

L’Europe unie, c’est terminé. On y préfère désormais l’Europe des nations, un truc peu ragoutant auquel on a déjà donné, qui s’est soldé par deux guerres mondiales. On nous fait croire que cette fois-ci, la Guerre de Troie n’aura pas lieu. L’Europe est parvenue à vivre en paix depuis 70 ans, un record historique. Doit-on se faire à l’idée que nous voici au bout d’un cycle et qu’il nous faille renouer avec les déterminismes qui ont conduit les peuples de ce continent à transformer une fois encore leurs pays en nouveaux champs de bataille. Devons-nous par fatalité renouer avec ce même esprit belliqueux dont les tristes souvenirs sonnent toujours aux oreilles, que ce soit Bailen, Caporetto, Solferino, Culloden, Rossbach, Aspindza, la Montagne Blanche, Azincourt, Langnes, Sadowa et tellement d’autres. L’Europe ne serait-elle donc jamais capable d’en finir avec ses démons d’outre-tombe pour devenir un interlocuteur crédible, parlant enfin d’une seule voix face à ces trois amis qui lui veulent tant de bien qu’ils n’ont d’autre envie que de la dépecer.

Le président Emmanuel Macron n’a jamais caché qu’il était persuadé que l’Union Européenne était une grande puissance malgré elle, assoupie depuis qu’elle avait fait la paix avec elle-même, savourant dans une douce somnolence les lauriers de sa propre réconciliation. On aurait pu croire que le continent européen se serait servi des leçons de l’histoire pour devenir le grand interlocuteur du monde, le promoteur de la démocratie universelle et de l’émancipation des peuples ; mission ratée, c’est le moins que l’on puisse dire. Les temps changent et l’émancipation des peuples n’est plus à l’ordre du jour. Non, la tendance actuelle est de ne plus croire en l’avenir, de ne même plus s’imaginer en avoir un.

Janvier 406
Les premières vagues migratoires germaniques franchissent le Rhin et déferlent
sur la Gaule
Ce sera la fin d'une civilisation
On se retrouve dans le même état d’esprit que nos ancêtres gallo-romains du temps des derniers empereurs, désemparés face à un afflux incontrôlable de migrants venus d’outre-Rhin, tentant de sauver coûte que coûte ce qui leur restait de la civilisation, de cette vision du monde qu’ils pensaient immuable, taillée sur mesure à la gloire d'un pouvoir censé les protéger. Au final, tout cela s’est effondré, a été laminé, totalement écrasé. L’Empire Romain, jadis triomphant,imprimant sa marque sur le reste du monde fut totalement démembré, taillé en pièces. D'autres empires s’en partagèrent les restes. Le sort de l’Europe, dont l’union ne serait finalement qu’une utopie n’est-il pas une fois encore de subir la loi d’autres empires, à la fois voraces et sans complexes ?

La tribune qu’a publiée Emmanuel Macron dans tous les journaux européens n’a guère eu l'écho espéré. Le projet est pourtant raisonnable, recevable, mesuré dans son ambition et pragmatique dans sa structuration. Certains se sont empressés d’y voir la volonté du président français d’imposer son leadership, d’autres y ont vu une tentative de retrouver une forme de crédibilité personnelle après la crise des Gilets Jaunes. Peu y ont vu le désir d’un nouveau souffle dans un contexte nauséeux, d’une renaissance comme le propose le titre. Renonçant à l'idée fédéraliste et à une supranationalité gérée de Bruxelles, le projet d'Emmanuel Macron met surtout l'accent sur la protection des citoyens, une position en fait assez proche de ceux qui depuis des années dénoncent Schengen et la perméabilité des frontières ainsi que l'incapacité de l'Europe à faire valoir ses propres intérêts dans les grands enjeux mondiaux. Apparemment, le discours du président français serait encore trop ambitieux, irréaliste en l'état. Cela veut-il dire que le mal est déjà fait ? L’Union Européenne pêche par ce que l’on pourrait définir comme une obsolescence programmée.

Le Brexit
Une déchirure salutaire ou la fin de l'Union
Depuis le Brexit, un compte à rebours s’est mis en oeuvre, faisant en quelque sorte du départ du Royaume Uni le déclencheur de la déliquescence inéluctable de l’Union Européenne. On assiste dans la plupart des pays à l’irrésistible ascension de mouvements favorables au retour des frontières, à la dénonciation des traités ou à leur remise en cause pour les remplacer par on ne sait trop quoi, au retour des monnaies nationales, voire à la sortie pure et simple de l’Union. Ce n’est même pas du grand n’importe quoi, c’est carrément de la haute trahison. Ces partis dits souverainistes qui savent si bien manipuler les esprits faibles en prétendant qu’il n’y a rien de mieux que l’entre soi pour vivre heureux, ont semble-t-il des chances d’arriver en force à l’Assemblée Européenne. De quoi plonger dans les abysses. On ne peut une seconde imaginer l’Europe aux mains de gens qui veulent la démanteler. En Italie, en Autriche, en Hongrie, en Pologne, notamment, prévaut un discours bien éloigné de la fibre paneuropéenne qui était de mise il y a 20 ans.

L’arrivée incontrôlée de migrants venus du Moyen Orient et d’Afrique a été le catalyseur d’un vaste mouvement xénophobe et nationaliste dont l’Europe a dû subir les frais. La volonté de la commission européenne d’imposer aux Etats membres des quotas de migrants a joué comme un facteur accru de tension alors que celle-ci partait d’un louable sentiment de solidarité entre partenaires. Non seulement, ce qui est devenu la crise migratoire a servi de terreau aux partis extrémistes mais rien n’y a fait depuis pour apaiser les divisions. Les élections dans les divers pays européens ont mis en exergue la poussée des partis anti-européens et le retour des nationalismes les plus radicaux. Le moteur allemand est à l'arrêt tandis que l'Italie et la France, habituées à marcher  ensemble ne se regardent plus qu'en chiens de faïence. Les pays scandinaves et les états baltes ont pris leur distance, peu satisfaits de la frilosité de Bruxelles en matière transition écologique. En sommes-nous pour autant à l’aube d’une déflagration mondiale ? Tout dépend de quelle manière on aborde la question. Il n’est, d’ailleurs, plus question de guerre au sens où l’entend d’ordinaire. En fait, nous sommes dans une partie qui se joue à quatre, pour mémoire au cas où vous auriez perdu le fil, il y a les Etats-Unis, la Chine, la Russie et l’Europe.

Etats-Unis vs Chine
A la fin, c'est l'Europe qui paiera
En premier lieu les Etats-Unis, beau pays, belle histoire, la Californie, la Floride, le Texas, des noms magiques qui fascinent et attisent toujours les fantasmes. Mais cet aussi le pays qui, aujourd’hui plus qu’hier, détient le pouvoir sur nos vies grâce à ses monstres numériques, ces démons qui ont pénétré l’intimité de notre quotidien par le biais de Facebook, Instagram, Google, Apple et qui en connaissent plus sur nous que nous-mêmes. Comment rivaliser contre cette hydre ? Certainement pas en restant seul dans sa cabane d’ermite, que ce soit dans l’Erzgebirge, à Smögen, Kampinos, Guadarrama, aux Météores ou sur Heligoland. L’Europe a les atouts pour devenir la nouvelle hydre, encore faut-il qu’elle sorte de sa paresse. Donald Trump lui fait même une fleur en lui demandant de participer davantage à l'Alliance Atlantique, une opportunité enfin de promouvoir une défense intégrée de l'Union Européenne afin de ne plus dépendre exclusivement de l'OTAN. Mais osera-t-elle seulement saisir la perche tendue? 

En second la Chine, une dictature féroce, ayant réussi à dévoyer le communisme en faisant du degré de corruption la variable d’ajustement permettant de promouvoir ses amis ou condamner ses ennemis, devenue surtout la matrice d'un néo-capitalisme international, hors de toute régulation. Forte de sa puissance financière et de son appétit insatiable pour les produits d’une culture dont l’ont longtemps privé les émules de Mao, elle n’a de cesse de redevenir l’Empire du Milieu. A l’avantage de l’Europe, la Chine a envahi les rayons des supermarchés mais son régime a perdu de ses adeptes et la reconquête mettra du temps. Mao a laissé une empreinte peu attractive malgré un appétit non dissimulé des sociétés occidentales pour le canard laqué et les ravioli vapeur.

La Russie, un voisin encombrant
Et si l'avenir de l'Union Européenne tendait vers l'Est
En troisième, la Russie, le maillon faible mais aussi l’Européen de la bande. La Russie appartient de tous temps à l’Europe même si son aventure coloniale l’a portée jusqu’aux rives du Pacifique. De Gaulle avait raison lorsqu’il arrêtait l’Europe à l’Oural. La Russie empiète largement sur l’Asie mais la culture qu’elle y a transmise est essentiellement européenne. Les peuples autochtones de Sibérie existent moins, malgré tout le respect qu’on leur doit, que les héros d’Henri Troyat qui ont nourri notre adolescence (la mienne en tout cas, du temps où on lisait des romans et pas seulement des blogs). La Russie n’a pas la main mise sur le numérique et n’a guère d’argent même si ses hackers sont des surdoués. Elle a pour elle la proximité. Les partis extrêmes l’ont bien compris même s’il y a un bien étrange calcul de la part de certains, persuadés que Vladimir Poutine serait naturellement enclin à épouser leurs points de vue. Le camarade Vladimir a fait ses classes au KGB et a travaillé suffisamment dans le naos du renseignement soviétique pour regarder avec une certain recul les agitations de l’extrême droite européenne.

Il paraît, en revanche, assez clair que la Russie se sent plus proche des pays européens que de ses autres voisins ou alliés de circonstance, que ce soit la Turquie pour des raisons d’incompatibilité religieuse, l’Iran pour des raisons similaires ou la Chine pour une question d’orgueil. Ne parlons pas des Etats-Unis et des inévitables relents de la Guerre Froide. En fait, la Russie est un dilemme pour l’Europe. Le régime stalinien et les années Brejnev ont isolé le pays même si les partis communistes occidentaux se sont continuellement mobilisés avec armes et fracas pour défendre leur modèle, soutenant l’insoutenable, justifiant les procès iniques, la militarisation à outrance, la répression des volontés d’émancipation des peuples comme à Budapest et à Prague, l’intervention hasardeuse en Afghanistan.

La Russie s’est refaite depuis une virginité et a enfin renoué avec le cours de l’histoire après la parenthèse communiste. Pour autant, le poids écrasant de la géographie favorise tellement la Russie que les Européens, pour la plupart de petits états, considèrent leur mastodonte de voisin comme une menace. Sauf que dans la mondialisation qui fait la part belle aux ultra-puissants, ce troisième larron qu’est la Russie pourrait bien être une clé pour exorciser le malaise européen. La lecture que l’on peut faire, en effet, des immiscions des Renseignements Russes dans la vie politique en Europe ou aux Etats-Unis correspond à une volonté de reconnaissance, après des années de mépris de la part de l'Occident. Et si enfin, les Russes avaient plus besoin d’être aimés que d’être craints. C’est peut-être idiot mais on en a vu d’autres. Le retour de la Russie au sein de l’Europe sonnerait surtout le glas des inconditionnels de Steve Bannon et de ses acolytes néo-fascistes. Bon débarras !   
C’est une idée, rien de plus, mais dans un contexte de recomposition mondiale, l’Europe ne pourra envisager son avenir sans la Russie. D’abord parce que dans cette partie à quatre, il y aurait de forts risques que ce soit l’Europe qui fasse le mort. Dans une telle perspective, préférerions-nous avoir comme partenaire de doublette Trump, Xi Jinping ou Poutine. En mille, Poutine. La grande Europe, Napoléon en a rêvé mais c’est X qui l’a fait.

Un problème, cependant, et de taille, Vladimir Poutine rêve de rétablir un jour ce que furent les frontières de l'Union Soviétique. Il y a, en revanche, de fortes chances que les Républiques caucasiennes et d'Asie Centrale ne fassent plus partie des objectifs, celles-ci évoluant déjà pour la plupart en satellites de la Fédération, surtout utiles en tant qu''états tampons à des frontières avec des pays toujours sous tension tels que la Turquie, l'Iran et l'Afghanistan. Reste la frange européenne, les états baltes, la Biélorussie et l'Ukraine. Les premiers ont adhéré à l'Union Européenne et sont membres de l'OTAN, l'affaire est entendue. La Biélorussie est déjà sous la coupe du grand frère russe. La clé du problème vient de l'Ukraine. La situation y est figée depuis l'invasion de la Crimée, un statu-quo qui devra bien à un moment ou à un autre trouver son dénouement. La France et l'Allemagne avaient participé aux accords de cessez-le-feu lors de la crise du Donbass mais la guerre de tranchées à laquelle se livrent depuis Kiev et Moscou ne s'éteindra qu'avec, enfin, une réelle volonté politique. 


Au XIème Siècle
Anne de Kiev, princesse russe et reine de France
Ne pourrait-on mille ans après refaire maison commune 
Et si pour une fois, on décidait enfin de considérer la Russie comme l'assurance-vie de l'Europe dans la décennie à venir, renouant après des années de séparation d'avec cette compagne de nos routes mémorielles, qu'elle ait pour nom Maria Ivanovna, Natalia Ilinitchina, Katerina Zerbst-Anhaltaskaia ou encore Zinaïda Alexandrovna,  tandis que finiront de s'entre-déchirer les ogres chinois et américain. 

On n'en est pas encore là, bien évidemment, mais gageons qu'on y viendra. Le soleil se lève toujours à l'Est.   
         

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