Le Grand Débat a fait ressortir le souhait exprimé par de
nombreux Français d’adapter nos institutions afin de les rendre, si c'est encore possible, plus efficaces.
Inutile pour cela d’aller vers une 6ème
République comme le voudrait la France Insoumise. Parce qu’une 6ème
République ne résoudrait pas plus que celles qui l’aurait précédée l’instabilité
chronique dont souffre la France depuis la 1ère. D’une 6ème, on irait vers une 7ème
et ainsi de suite tout en reproduisant à chaque fois les mêmes maux. La France est
périodiquement agitée de soubresauts qui en disent, en fait, davantage sur le
cours tumultueux de son histoire que sur les remous de son actualité.
Contrairement à ce qu’on entend d’ordinaire, il n’y a jamais eu en France de « c’était
mieux avant », ni de « bon vieux de temps », c'est tout juste une figure de style de bon aloi. Peut-être qu’en
prenant de l’âge, on regarde avec tant de nostalgie les images du passé que
même les pires moments deviennent de bons souvenirs. Mais changer de titre ne
suffit pas à changer le contenu. En dignes héritiers des Gaulois et de peuples autochtones encore plus antiques dont ils sont pour la plupart issus, malgré le pelliculage des vagues migratoires, les Français se nourrissent de la discorde, préférant les routes sinueuses parsemées de nids de poules aux larges avenues bien
tracées où l’on s’ennuie. C’est leur qualité autant que leur défaut. Depuis
1776, les Etats-Unis vivent sous la même constitution et en sont fiers. Les
Anglais ont fait leur révolution en 1689 après avoir chassé le roi Jacques II et
ne changeraient pour rien au monde leur système de gouvernance. Ne parlons même
pas des royaumes scandinaves que l’on cite comme les meilleurs élèves de la
démocratie et qui affichent une stabilité à la limite de la provocation. En France,
rien de tout cela. On n’arrivera jamais à créer un système de gouvernement
durable. Mais pourquoi ? Sommes-nous donc condamnés à faire en permanence la
révolution ?
Richelieu, l'Etat avant toit |
Il nous faut peut-être pour cela remonter à Richelieu, le
fameux ministre de Louis XIII. Même s'il restait convaincu que "labourage et paturage" étaient les deux mamelles vivrières de la France, ce pays qui n’en finissait pas de se
déchirer après plus de cinquante années de guerres fratricides entre
Catholiques et Protestants ne parviendrait, selon lui, à la paix que par la coercition. C’est
grâce à lui ou à cause de lui, selon le point de vue que l’on adopte, que l’Etat
est devenu la machine à broyer toute-puissante destinée à mettre en bon
ordre un pays sans cesse secoué par de féroces querelles de clocher. Désormais, la seule
voix qui comptera sera celle du pouvoir d'en haut, toute velléité d’émancipation
se voyant immédiatement réprimée. Ce sera le temps du grand nivellement, dont l’achèvement
permettra, quelques décennies plus tard, à Louis XIV de proclamer « l’Etat
c’est moi ». En ces temps où la noblesse provinciale était prompte à
contester l’autorité, revendiquant des privilèges hérités de l’époque féodale, l’influence
de Richelieu, implacable, voire impitoyable, envoyant à l’échafaud les moindres
récalcitrants, détruisant leurs murs et rayant leurs citadelles de la carte, aura
refaçonné un pays au nom de la raison supérieure de l’Etat, sans même une once de considération pour son peuple, le grand absent qui, le jour venu, saura se faire valoir, sans pour autant, d'ailleurs, renier le principe de l'Etat "omnipotens". Face aux sautes
d’humeurs récurrentes de la Nation, le système Richelieu a instauré la
prépondérance de l’Etat en tous lieux et en tous temps, scellant ainsi et pour longtemps, le sort de la France.
La Révolution de 1789 décapitera la monarchie sans toutefois
remettre en cause le pouvoir décisionnaire de Paris (ou de Versailles; pour un
paysan des Basses Plaines de l’Aude, tout cela, c’est du pareil au même) comme
seul et unique lieu où l'on légifère au nom de la France tout entière. On appelle cela le Jacobinisme, du nom d'un couvent désaffecté où se réunissaient, en 1793, les conventionnels qui, de leur estrade, estimaient que ce qui était bon pour Paris, l'était tout autant pour les populations de la Thiérache, de l'Aunis, de la Margeride, de l'Escandorgue, du pays de Sault, de Caux, de Bray, d'Olt ou d'ailleurs. Le 19ème
siècle ne fera qu'entériner la concentration des pouvoirs au profit de la capitale comme
en attesteront les révolutions de 1830, de 1848 et la Commune de 1871.
Celles-ci auront totalement effacé des radars le reste du pays.
Bien que populeuse,
multiculturelle, multilingue, La France aura cédé à Paris tous le pouvoirs de décision. Il suffit de regarder la carte du réseau ferré pour
comprendre que celui-ci rayonne presque exclusivement à partir de la capitale. Paris
a été désigné par le destin comme le cœur, le poumon et le ventre de la France.
Les années ont passé et les
Républiques se sont succédé sans que la problématique ne change. Il y a toujours
Paris et la province. Et c’est bien là le problème. Paris symbolise l’Etat et
dans un pays aussi centralisé que la France, toute contestation, remise en
cause, réclamation, récrimination se concentrent nécessairement sur les organes
du pouvoir qui siègent à Paris, uniquement à Paris, nulle part ailleurs en
France.
Les temps changent vite, cependant. L’hypercentralisme décisionnel se
voit à présent contesté par la transversalité des réseaux sociaux, de nouveaux outils
de citoyenneté pour le meilleur aussi bien que pour le pire, sur lesquels le pouvoir
ne parvient pas à mettre la main, sauf peut-être en Chine. En Chine ! Si le
temps des Maoïstes façon mai 68 a bel et bien disparu, le monstre dont a enfanté leur idéologie de référence, labellisé Parti Communiste Chinois, a survécu, devenu l'hydre qui a infiltré les cerveaux, conditionnant jusqu'à la meilleure façon de penser. On a du laisser filer un épisode de la saga car il y a bien longtemps que Mao ne fait plus rêver personne dans
les caveaux du Quartier Latin. L'avait-il seulement jamais cherché? Qu'importe à présent la France pour un riziculteur du Yang Tsé?
Revenons-en au mouvement des Gilets Jaunes. Il vient de démontrer que le cœur de la contestation s’est déplacé. La province, vue de haut depuis
si longtemps par Paris se réveille d’un sommeil digne de la Belle au Bois
Dormant. Pas ou peu de Parisiens parmi les Gilets Jaunes et encore moins de gens des faubourgs, fait interrogateur s’il
en est tant il fut un temps où c'était dans ces mêmes faubourgs que prenaient naissance les insurrections. Où sont donc passés les Gavroche, Marius, Enjolras, Combeferre et autre
Courfeyac ? On monte à présent du
fin fond de la France manifester à Paris tandis qu’à Paris, les Parisiens se
murent dans leurs immeubles hausmanniens de crainte d’être contaminés par le virus
de la rusticité bouseuse.
Représentant en mission Un costume de carnaval pour cacher les zones d'ombre d'une entreprise génocidaire |
Moins troublant qu’inquiétant, voilà la preuve d’un
divorce bien réel entre tout ce que peut représenter la capitale en matière de
pouvoir, d’autorité, de cécité et de surdité face au sentiment d’abandon qu'expriment ceux qui vivent au-delà de l’Ile-de-France. Paris a pu représenter le peuple il
y a deux cents ans mais ne représente plus aujourd’hui que l’Etat. Dans ce pays
aux paysages d’une beauté féroce, sublime parfois, on ne s’attarde plus à
contempler les vielles pierres et les landes escarpées, tant le mal de vivre y est criant.
Mais là encore pourquoi ? Richelieu, encore et toujours lui. En voulant imposer coûte que coûte la puissance écrasante de l’Etat
central sur ces provinces à la nuque raide, il a instauré un système qui
uniformise, nivelle, sans aucun respect pour la diversité qui, au contraire, alors
qu’elle formait le creuset de la nation, aurait pu être son atout maître pour l’avenir.
Robespierre et son Comité de Salut Public ont certes tranché la tête d’un roi
mais ils n'ont fait que renforcer le système. Paris a été confirmé comme le seul lieu où se trace l'avenir du pays. Chargés de porter la bonne parole, les représentants en mission, imbus du mépris que leur inspirait la province inculte et superstitieuse, ont cru que leur prérogative leur permettrait de se comporter en criminels sous prétexte d'être vêtus
comme des héros d’opérette. Ils ont surtout affiché un mépris insolent pour les
populations, persuadés d’être les représentants du vrai peuple. De quel peuple,
en fait ? Du peuple de Paris, assurément, mais pas de celui de Lyon, de
Marseille ou de Nantes. Le mépris, voilà ce que la province ressent depuis plus
de deux siècles à l’égard de ses gouvernants. Ce sentiment d’infériorité qu’éprouvent
les gens du terroir face aux intellectuels BCBG qui habitent les beaux
quartiers du West End parisien, a depuis l'avènement des Gilets Jaunes, comme du plomb dans l’aile.
Juste retour des choses. On se moque moins des péquenots du Quercorb et des petites caissières du Razès. Les réseaux sociaux leur ont permis de donner de la
voix. Et quelle voix ! On ne les arrête plus.
Une mesure passée en force Péché de jeunesse d'un gouvernement qui pense qu'on peut faire le bonheur du peuple malgré lui Leçon n°1 : On n'impose pas le bonheur à son peuple |
Les 80 km/heure sont, à titre d’exemple, le dernier exemple
en date de l’autoritarisme bien pensant du pouvoir central. Sous prétexte qu’à Paris, on
roule à 70 sur le Périf, il n’y avait pas de raison qu’on aille plus vite
sur la Minervoise ou la D 118 reliant Carcassonne à Perpignan. Or, le message n’est
pas passé. Ce n’est pas de Paris qu’on va décider de ce qu’on vit chaque jour à
800 km de là. Ce n’est même pas le fait de la mortalité, tout le monde souhaite
voir moins de morts sur les routes mais il s’agît d’une question de méthode. La
voiture en province, c’est tout simplement l’assurance de ne pas crever entre ses quatre murs, sans facteur, sans épicier, sans école, sans médecin.
Messieurs et Mesdames du gouvernement, si vous voulez priver les habitants des Corbières de
leur bagnole, installez-leur le tramway. Non ? Ça coûterait trop cher !
Alors réduisez leurs impôts puisque vous ne pouvez pas leur garantir le maintien des services publics ! Non plus ? Alors, arrêtez de les emmerder et filez leur l'indépendance. Il n'y a pas de raisons pour qu'ils payent pour les autres ce qu'on ne peut leur offrir. Après tout, qu'ils se proclament indépendants ne serait pas la pire opportunité, au point où ils en sont. Ils ont déjà l'autonomie énergétique, pourquoi pas l'indépendance politique. Cela ne se fera pas, tout simplement parce que Paris a plus besoin de ses territoires que l'inverse.
Il semble enfin que le message des ronds-points soit arrivé jusqu'aux palais de la
République. Il était temps. Il n’était, en effet, pas nécessaire d’être un analyste politique pour comprendre que les Gilets Jaunes roulent en majorité pour le
Rassemblement National. Il suffit pour cela de voir comment sont traitées les rares brebis égarées
qui oseraient former une liste dans la perspective des prochaines Européennes. Bombardées d’insultes et de menaces en tous genres, elles renoncent les unes après les
autres, conscientes de ne pouvoir résister au formidable rouleau-compresseur d'une extrême-droite qui tient là la chance de sa vie. On 'est rendu compte, au passage, que
les territoires oubliés de la République sont d’abord pour elle un réservoir de voix.
Il n'est pourtant pas nécessaire de se laisser piéger dans la nasse des extrêmes pour penser à la façon de faire évoluer nos institutions en s’inspirant, une fois n'est pas coutume, du modèle américain. Nous disposons en France de deux chambres, les Députés
et les Sénateurs. Comme tout ce qui se fait dans ce pays, on ne comprend pas à
quoi servent les uns et les autres. Le Général De Gaulle a voulu supprimer le
Sénat mais le référendum qu’il avait organisé à ce propos s’est soldé par un
non. Donc, les Français ont préféré conserver le Sénat et virer leur président. Mais à quoi donc sert le Sénat ? A peu de chose, il ne sert qu’à faire diversion tant il n’a
aucun pouvoir sur rien. Cette chambre coûteuse n’a en l’état guère d'intérêt.
Le bicamérisme paraissant toutefois inhérent aux démocraties,
si les Députés représentent leur peuple en nombre, le Sénat (et c’est là la leçon
américaine) est censé représenter les territoires. aux USA, ce sont les Etats mais imaginons
en France que ce soient les départements: ils sont deux sénateurs par état aux US, ils pourraient être deux
sénateurs par département en France, de la Seine Saint Denis à la Lozère, soit 200
sénateurs. Peu importe la population, il n’y a plus de métropoles hyper-représentées
et de départements perdus, il y a juste un respect et une juste égalité territoriale. Elus pour 6 ans, renouvelés par tiers tous les deux ans, le rêve en somme !
Quant aux députés, imaginons un élu pour 150 000 habitants, deux mandats au plus de cinq ans chacun, une chambre renouvelée par moitié tous les 30 mois, une façon de réduire d’un tiers le nombre d’élus et surtout de procéder à une élection à mi-mandat tel un juge de paix pour le président. Attention toutefois à ce que l’élection reste encore attractive, faute de quoi la démocratie s’éteindra d’elle-même par manque de candidats, laissant la place à tous les populismes. On veut bien comprendre que les Gilets Jaunes estiment que les élus devraient exercer leur mandat à titre bénévole mais cela suppose en contrepartie qu’ils renoncent eux-mêmes à la CAF et à Pôle Emploi. Le feront-ils ? Non, bien sûr ! Devra-t-on-en conclure que ce grand mouvement citoyen n'aura été qu'une autre Journées des Dupes pour ne pas dire une farce. Telle est parfois la France, un pays en trompe l'oeil, tout en promesses, des promesses, toujours des promesses. Et comme disait un ministre haut en couleur "les promesses n'engagent jamais que ceux qui les croient".
Le Sénat, la chambre des territoires 2 sénateurs par département, pour Paris comme pour la Lozère |
Quant aux députés, imaginons un élu pour 150 000 habitants, deux mandats au plus de cinq ans chacun, une chambre renouvelée par moitié tous les 30 mois, une façon de réduire d’un tiers le nombre d’élus et surtout de procéder à une élection à mi-mandat tel un juge de paix pour le président. Attention toutefois à ce que l’élection reste encore attractive, faute de quoi la démocratie s’éteindra d’elle-même par manque de candidats, laissant la place à tous les populismes. On veut bien comprendre que les Gilets Jaunes estiment que les élus devraient exercer leur mandat à titre bénévole mais cela suppose en contrepartie qu’ils renoncent eux-mêmes à la CAF et à Pôle Emploi. Le feront-ils ? Non, bien sûr ! Devra-t-on-en conclure que ce grand mouvement citoyen n'aura été qu'une autre Journées des Dupes pour ne pas dire une farce. Telle est parfois la France, un pays en trompe l'oeil, tout en promesses, des promesses, toujours des promesses. Et comme disait un ministre haut en couleur "les promesses n'engagent jamais que ceux qui les croient".
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