samedi 9 février 2019

Ne nous trompons plus de combat

Une brève histoire des révoltes populaires imaginée par Frédéric Deligne

Le mouvement des Gilets Jaunes vient de confirmer, une fois de plus, les maux semble-t-il incurables de la société française. Nul ne contredira, cependant, que cette révolte des territoires est autant une jacquerie paysanne qu’un sursaut de type poujadiste tel qu’on l’a vécu dans les années 50, anti-élus, anti-élites et surtout anti-fiscalité. Non plus une insurrection conduite par des métayers affamés, des charbonniers des bois ou des coureurs de grand chemin, mais d’abord une mobilisation de gens du finage, souvent propriétaires, artisans, commerçants ou salariés, incapables désormais de se projeter dans l’avenir, sauf à se voir déclassés et comble de l’échec, poussés à la rue. Pour ces gens habitués, depuis environ trois générations, à un certain confort de vie, la société numérisée et mondialisée au sein de laquelle ils craignent de ne pouvoir s’intégrer, concentre toutes leurs angoisses.

La ville nouvelle des années 60
Le temps révolu des HLM et du poulet aux hormones
On s’est trop longtemps satisfait du diagnostic selon lequel le problème existentiel de la société française était uniquement lié à la banlieue, à ces cités façon « Pays de l’Est » des années soixante, devenues un univers concentrationnaire réservé aux populations immigrées. En braquant constamment les projecteurs sur les ZEP, ce sont de vastes zones périurbaines, elles aussi en difficulté, qui ont été jetées aux oubliettes ! Plus qu’une bourde politique, nous devons déplorer de nos édiles un manque peu glorieux de clairvoyance malgré la multiplication de signaux faibles. Voilà qui interroge sur la capacité de nos élus, pourtant réputés intelligents, à avoir une vision à long terme, trop accaparés qu’ils sont peut-être par les bobos du quotidien. Comment conjuguer la patience qu’exige la construction d’un projet d’avenir et l’impatience de le voir achevé.

La France lointaine
Alet-les-Bains, ses thermes, son casino, jadis siège d'un évêché florissant
Aujourd'hui, même la gare y est fermée
Au cours de ces dix dernières années, on s’est largement focalisé sur les quartiers « dits » perdus de la république, sur la jeunesse en déshérence de ces mêmes quartiers où règnent en maîtres la pauvreté, le chômage, les trafics et la délinquance. On n’a pas lésiné sur les moyens. Ces quartiers ont avalé des milliards à coup de plans successifs sans pourtant résoudre aucun des problèmes. D’une part parce que, malgré les violences criminelles dont ils sont le corollaire, les trafics rapportent trop pour que la jeunesse retrouve le goût du SMIC et de l’autre parce qu’une idéologie créationniste extrêmement dangereuse a profité de l’échec scolaire de toute une génération pour y semer son venin. Et tandis que les crédits et les subventions pleuvaient à fonds perdus sur les banlieues défavorisées, c’est comme par un effet de balancier que la France des territoires s’est vue vidée de sa substance. Les hôpitaux fermés, les médecins devenus rares, les usines délocalisées, les commerces disparus, la nécessité d’aller jusqu’à la ville pour retrouver les services publics ou au moins une banque et de quoi faire les courses, avec en conséquence l’obligation d’avoir une voiture, une vie à l’arrivée de plus en plus coûteuse. Vivre au pays est redevenue comme aux pires heures de la crise viticole du début du siècle dernier, une lutte pour survivre, en d’autres termes « a struggle for life ». 
Loin de la Silicone Valley, des progrès phénoménaux de l’Intelligence Artificielle, des milliards de valorisation d’Amazon, des voitures autonomes d’Elon Musk ou de la France Insoumise avec ses hologrammes dignes de Star Wars, la question qui se pose pour des millions de Français est de savoir comment on va nourrir les minots quand dès le 20 du mois, la carte bleue est bloquée par la banque.  

Les outils se sont tus. La vie a disparu
Un usine désaffectée dans l'Oise

Mais comment la France qui se vante d'être encore la 6ème puissance mondiale a pu se retrouver dans un tel état de délabrement. La faute à Macron, diront, sans hésiter, ses détracteurs. Sous-entendu parce qu'avant lui, c'était mieux. Il serait plus judicieux de reconnaître qu'il n'est que l'héritier d'un pays qui courait tout droit vers la mise en liquidation.
On a fermé nos usines parce que considérées trop aliénantes pour les classes laborieuses, y préférant un monde coopératif, solidaire, autogéré, égalitaire, un monde prolétarien généreux et altruiste, un monde de Bisounours auquel l'Education Nationale préparait insidieusement nos chères têtes blondes. Préférant l'idéologie au pragmatisme, on a donc détruit, sans même se poser de question, ce qui constituait la vraie force vive des territoires et tout simplement participé à l'éradication de la classe ouvrière. La désindustrialisation accélérée de la France, à la fois incompréhensible pour ses acteurs et dramatique pour toute une population dont elle constituait l'essence vitale, a contribué à faire du pays ce champion du pessimisme que l’on connaît, sans horizon, sans issue. L’usine concentrait certes toutes les aigreurs envers le patronat et l'image que celui-ci renvoyait d'une bourgeoisie hautaine et condescendante mais elle fournissait surtout du travail au plus grand nombre, de l’ingénieur à l’ouvrier spécialisé; elle était un lieu de vie, de fierté même. On travaillait à l'usine de père en fils, de neveu en cousine. Celle-ci constituait le gage de la sécurité familiale, on y passait sa vie, toute sa vie active. Or, on a peu à peu rayé les usines de la carte pour sceller la fin de la dynastie des maîtres de forges. Nos professeurs d'école ont alors crié victoire, proclamant la victoire de l'humain d'abord!. Au bout du compte, … ce qui constituait la manne nourricière d’un quart de la population s’est étiolé, parti ailleurs sous des cieux où l’ouvrier.ère ne coûterait presque rien et ne réclamerait rien.
On ne reprochera jamais assez à nos gouvernants d’alors, que ce soit Jacques Chirac ou Nicolas Sarkozy d’avoir laissé filer à l’étranger des pans entiers de notre industrie, affichant leur impuissance face à la disparition d’emplois vécue comme une fatalité de la post-modernité. On se consolait en imaginant que la France du futur serait d’abord un pays de services, pas fâché de troquer ses cols bleus à des pays de crève-la-faim contre un col blanc bien mieux seyant. En voyant les usines tirer le rideau, on s’est dit que finalement tout cela n’était pas grave tant que l’amortisseur social compensait par des allocations substantielles la mise au chômage ou en pré-retraite. On a de la sorte entériné avec bienveillance les plans sociaux des PME tant elles ne représentaient chacune que quelques centaines d’emploi, ne préférant se mobiliser que pour quelques grands fleurons symboliques. Sauver 1000 emplois d’un coup en injectant des millions s’est avéré effectivement si rentable, en terme politique, qu’on a pu se permettre d’en sacrifier 10 000 autres dans la plus parfaite indifférence.  Pour toute une catégorie de gouvernants se méfiant comme de la peste du secteur privé après avoir été formatée au rejet du capitalisme sur les bancs des lycées de la République, il n’y avait pas péril en la demeure du moment qu’on préservait le service public.  On ne peut aujourd’hui que constater les dégâts. La friche, le terrain vague, la rouille, la triste diagonale du vide ! La France est certes le paradis du fonctionnariat, mais elle n’est plus rien d’autre.
 Franchissez à présent le Rhin pour voir ce qui se passe chez nos voisins. On peut sourire des cartes postales « chromo » où s’épanouissent les géraniums aux balcons des maisons à pans de bois, mais la France n’a pas de quoi être fière. En Allemagne autant qu’en Suisse d’ailleurs, les PME fonctionnent à plein régime, affichant une santé enviable. Patriotisme économique ? Mort de Rire. La responsabilité à l’Etat ? Aux syndicats ? A la culture ? A l’histoire ? Disons simplement qu’en France, on n’aime pas l’entreprise, sauf peut-être quand elle est publique. On ne récolte au final que ce qu’on a mérité avec nos yeux pour pleurer. 

2018 - K-Line a ouvert à St Vulbas (01) un nouvelle usine
de fenêtres en aluminium 
Chers Gilets Jaunes qui pensez que c’est en virant le Président que vous allez ressusciter le rêve français, il est peut-être temps d'atterrir et d'avoir la décence de reconnaître qu’on nous a fait, à tous, avaler des couleuvres depuis des années sans que cela n’ait provoqué de tollé. Vous vouez Emmanuel Macron aux gémonies parce qu'il a, selon vous, usurpé le trône promis à Marine, mais son projet est de tous les politiques celui qui possède une vraie cohérence et une vision. Personne n'en veut mais il est bien le seul à pouvoir redonner de l'élan à l’activité industrielle en France, en y attirant les entreprises étrangères et en y favorisant les investissements. Les autres projets dont celui du Rassemblement  National ne sont que des enfumages électoralistes, des recettes miracle dépendant essentiellement d'un signe du ciel ou d'une bonne combinaison astrologique.
Avec 60 nouvelles usines sorties de terre en 2018, les résultats sont déjà là mais encore trop fragiles pour qu’on puisse dire que le pari a été réussi. Alors qu’il devrait rencontrer une large adhésion tant son ambition est de tirer la France par les cheveux, s’il le faut, du gouffre dans lequel elle s’est précipitée, on dirait que ceux qui se prétendent le peuple cherchent à s’assurer que le chaos est bien là. Ils veulent d’abord un changement de régime, que ce soit une 6ème république ou un nouvel Etat Français, sûrs que tout ira mieux après. Alors, bienvenue au Pays des des Jouets et des désillusions annoncées. Mais à quoi bon se faire autant de mouron, Facebook ne veille-t-il pas sur nous ?  


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