mardi 26 février 2019

Algérie, la bombe à retardement ?


L'Algérie, terre de prédilection de la vigne déjà sous les Romains
La vigne a été arrachée sous Boumédienne, laissant depuis les
terres à l'abandon







L’Algérie est pratiquement à l’arrêt depuis 30 ans, avec à sa tête un clan qui, en sa qualité d''exécuteur testamentaire du FLN, s'est attribué le droit de confisquer à son profit, les ressources d'un pays de 40 millions d'habitants, évoquant pour cela une légitimité soi-disant irrévocable. L'annonce de la volonté du président Bouteflika de briguer un nouveau mandat n'est en fait qu'un montage inique, une opération de diversion destinée à mettre en lieu sur les avoirs peu avouables de la faction mafieuse qui détient les clés du palais.
 Tenu d’une main de fer par les anciens cadres du FLN, une brochette de généraux aux tempes blanchissantes et un quarteron de businessmen dont le moindre défaut n'est rien moins que la cupidité, le pouvoir parvient certes encore à anesthésier une large partie de sa population mais ne fait que retarder une échéance qui, le jour venu, risque de faire voler en éclats l’équilibre tout en apparence de son système autocratique hermétique.

Comment ne pas comprendre que l’oeil hagard du président moribond constitue pour son clan l'espoir d'une impunité alors que commence à gronder la menace d'une déflagration dont la France subira nécessairement les retombées explosives. La candidature d’Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat présidentiel, même si lui-même n’en est peut-être pas conscient, est révélatrice de l'angoisse pour l’oligarchie au pouvoir de se trouver face à une alternative démocratique. Le pays va dans le mur d’une manière presque inéluctable et la réélection programmée de Monsieur Bouteflika constituera pour son cercle bunkerisé un ultime ballon d’oxygène avant les grands tourments, le temps pour les familles qui gouvernent dans l'ombre, cette smala de privilégiés qui a érigé la corruption en valeur d'Etat de faire les valises pour les paradis fiscaux où ils ont déjà détourné une part des richesses du pays.

Abdelaziz Bouteflika, paralysé depuis  2013 suite à
un AVC. Prêt à se lancer dans la course pour
un nouveau mandat présidentiel.
Muet, le regard fixe, la  main incapable d'écrire.
Est-ce bien là l'image idéale pour un pays qui mise sur sa jeunesse? 
Mais après! une fois que Monsieur Bouteflika aura achevé ce dernier mandat, totalement momifié si jamais il parvient à son terme, l’Algérie va voir se briser devant elle le dernier miroir aux illusions. Deux grandes questions domineront alors le débat : le rôle de l'armée face à la résilience des islamistes et l'avenir de la jeunesse, impatiente de tourner la page FLN. Il sera temps, enfin, de liquider les derniers relents de la guerre coloniale, de clore près de 60 ans de choix politiques et économiques souvent erratiques, motivés par une volonté viscérale d’effacer de la mémoire 130 ans de vie commune avec la France, l’ennemi que l’on aime détester mais dont on ne peut se passer. 

Deux générations ont passé, mais selon un calcul politique plus ou moins raisonnable, l’Algérie se refuse encore à regarder la colonisation de manière dépassionnée, sacralisant une guerre qui, bien qu’ayant été particulièrement meurtrière parmi les rangs de ses combattants, aurait dû, avec les années qui passent, rejoindre le champ critique des historiens au lieu de continuer à alimenter des polémiques devenues stériles. Dans ce registre, le gouvernement français a mis du temps à faire son mea culpa, mais il l’a fait et de la bouche même de son président lorsque celui-ci a reconnu la colonisation comme une crime contre l’humanité. Il serait temps de mettre un terme à cette infortune du destin selon laquelle aucune coopération économique ni même un simple partenariat entre l’Algérie et la France ne seraient possibles sans raviver à chaque fois les griefs du passé. Le FLN a fait son fonds de commerce de cette approche et s’en est abondamment nourri depuis des décennies sans jamais parvenir à doter en échange son pays d'une réelle vision d’avenir.

Alger dans les années 70
On peut dans ce cas reconnaître que c'était bien mieux avant
Revenons pour cela quelques années en arrière. Le FLN (Front de Libération Nationale) qui occupe le pouvoir d'une façon monolithique depuis l’indépendance acquise en 1962, n’est plus depuis longtemps une force vive mais plutôt une oligarchie sénile qui a, au fil des ans, confondu les intérêts du pays avec les siens propres. A force de ne pas vouloir panser les plaies de la guerre et refuser leur cicatrisation, trouvant plus judicieux d'entretenir les rancœurs de la colonisation, les dirigeants algériens ont souvent préféré les mauvais choix à une véritable réconciliation avec la France. 

Le pays n’a, pourtant, jamais rompu ses profondes attaches avec l’ancien colonisateur, ne serait-ce que par le biais d’une importante communauté algérienne installée en France, francisée même en majorité, tout en conservant des liens familiaux avec ceux restés au bled. Les échanges commerciaux n’ont, en revanche, pas suivi comme cela aurait dû être le cas entre deux partenaires classiques. 
Il persiste, en effet, depuis les années 60, la crainte de voir se réinstaller des entreprises battant pavillon français, considérées comme la tentation d'une recolonisation a posteriori. Fort de cette volonté de consommer le divorce, le président Houari Boumédiene s’est jeté au cours des années 70, dans les bras de l’Union Soviétique, en tirant alors un avantage politique non négligeable assorti d'une aide financière substantielle. En quelques années, l'Algérie a connu un sursaut économique de forte ampleur, avec pour conséquence une hausse significative du revenu moyen par habitant. Le vaste plan de nationalisations conduit par le gouvernement algérien de l’époque chassa les derniers intérêts français dans le pays, provoquant un climat réciproque de guerre économique. C’est ainsi qu’en réponse à la décision française de bloquer l’importation de vins d’Algérie, Boumédiene lança une campagne massive d’arrachage des vignes qui, faute de contrepartie, contribua surtout à l’appauvrissement du monde paysan. On a aujourd'hui tiré la leçon de ces grandes planifications décidées par le centralisme communiste dont les résultats n'ont fait qu'accélérer la ruine des économies vivrières. L'Algérie n'a pas dérogé à la règle, prise au piège dans le miroir aux alouettes. Ce fut l’époque où tous les efforts se portèrent vers une industrialisation du pays à marche forcée, appuyée par les Soviétiques mais aussi par tous les intellectuels qui voyaient, d’un œil attendri, l’avènement en Afrique du Nord d’un modèle réussi de société socialiste.
Cet aboutissement, dû pour une large part à la hausse historique du prix des hydrocarbures, a permis de masquer les faiblesses structurelles de l’influence russe, faute de capacités financières à long terme et du fait, également, que les pays de l’Est ne constituaient jamais qu’un débouché économique très limité.  
Boumédiene disparu prématurement, son successeur Chadli Benjedid dut reconnaître que le manque de perspectives du bloc soviétique pourrait déstabiliser son pays si la main protectrice de Moscou devait faillir. 

Au cours des années 80, la chute des cours des hydrocarbures dont l’Algérie était un gros exportateur a rapidement entraîné le pays dans la crise. Le paravent de l'industrialisation s'est étiolé tandis que le monde rural, exsangue, s'enlisait dans le marasme. L’Etat a, alors, tenté d’en minimiser les effets en privatisant les monopoles datant de l'ère Boumédiene, dévaluant de surcroît la monnaie et entreprenant une ambitieuse réforme des institutions visant à la démocratisation de la vie politique. Il s’agîssait, pour le moins, d’une véritable révolution dans un pays placé depuis son indépendance sous la tutelle du Parti Unique. Le pari était, toutefois, d’autant plus risqué qu’après avoir bâillonné toute opposition pendant près de trois décennies, il eût été miraculeux de voir sortir des urnes une assemblée semblable à la Chambre des Communes ou à celle des Représentants. La seule force constituée, dès lors qu’elle a été autorisée à se muer en formation politique a été celle des mosquées. Au printemps 1991, le Front Islamique du Salut parût en passe de remporter les élections, une situation intolérable pour des autorités formées à un idéal social hérité de l’ancien grand-frère russe. L’armée bloqua alors le processus électoral mettant un terme brutal au rêve démocratique. 

C’est alors que le pays sombra dans la Guerre Civile. L’armée resserra les libertés tandis que des groupes islamistes semèrent la terreur, massacrant sans discernement, inaugurant la notion de Jihad et provoquant les premiers attentats suicide. En juin 1992 le nouveau président Mohamed Boudiaf qui plaidait pour la réconciliation  et une Algérie tournée à nouveau vers la modernité, faisant sienne la lutte contre la corruption qui gangrénait le pays, fut assassiné en plein discours. Le chaos s’installa jusqu’à la fin des années 90 faisant plus de 200 000 morts. 

Après des années de tergiversations, les autorités sont, enfin, parvenues à organiser en avril 1999 la première élection présidentielle pluraliste. Abdelaziz Bouteflika, ancien ministre de Boumédienne, est sorti vainqueur des urnes. Son projet comportait trois volets : restaurer la concorde nationale, relancer l’économie et assurer le retour de l’Algérie sur la scène internationale. Il allait réussir à apaiser le pays au prix d’un grand nombre de concessions en direction des islamistes, toujours actifs et prompts à verser une fois de plus dans la violence aveugle. 

Ouvriers chinois sur le chantier de la future Grande Mosquée d'Alger
Et pourtant, il n'y a pas de travail pour les Algériens
Malgré quatre mandats successifs, le bilan des années Bouteflika reste en deçà des rares espoirs qu’il avait suscités au départ. Hormis la manne pétrolière sujette à de fréquentes fluctuations, la production industrielle et agricole  n'a jamais vraiment redécollé, même si l’arrivée tonitruante des investisseurs chinois a concouru à faire croire à une embellie salutaire. Donnant donnant, la Chine a fait main basse sur le pays. Elle a réalisé les grands projets énergétiques, elle fournit pratiquement tout l’armement, elle est présente dans tous les grands travaux, imposant sa main d'oeuvre, ses méthodes et son style, cachant comme elle sait si bien le faire derrière une neutralité bienveillante l'âme d'un prédateur implacable.  

Or, que reste-t-il aujourd’hui de l’Algérie des années 70, modèle miracle d’un socialisme à l’africaine, un pays confiant qui attirait alors le tourisme. Que reste-t-il à présent ? L’ennui, la résignation, la débrouille, l’attente, peut-être le miracle ou alors le départ vers le nord, retrouver la famille qui vit en France. Quelle perspective ! Le règne de Bouteflika a vitrifié le pays. C'est comme si depuis 20 ans, tout un peuple s'était mis au ralenti, regardant impuissant, le rouleau-compresseur chinois y faire son laboratoire d'influence en Afrique. Nul n’attend finalement plus grand-chose en Algérie. Les généraux et leurs ouailles continuent de se partager les miettes du gâteau, y ajoutant quelques dividendes issus de trafics en tous genres, dont celui de la cocaïne, fort rémunérateur. La corruption est solidement installée à tous les niveaux d’une bureaucratie arrogante qui jouit avec avidité de son pouvoir de tracasserie. Les islamistes règnent en maîtres sur les esprits, forts de l’amnistie que leur a offert le pouvoir en échange de la paix sociale. Le gouvernement a laissé faire, préférant une islamisation insidieuse et indolore aux actions violentes. La police religieuse a dès lors eu les coudées franches pour imposer sa norme rigoriste. Telle est devenue la société algérienne, soumise à l'appel pluri-quotidien du muezzin, tenue en laisse par un système coercitif, s'habituant à la discrimination des sexes, rêvant en somme d'une autre vie, plus loin, plutôt de l'autre côté de la Méditerranée.

A la veille de l’élection présidentielle, l’Algérie dont la moitié de la population a moins de 25 ans semble vouloir sortir de sa catalepsie. Les jeunes sont descendus dans la rue pour dire non à un 5ème mandat, les opposants discutent mais ils ne représentent qu’eux-mêmes. En majorité inconnus, à la tête de mouvements ou de partis réduits depuis des années au silence, ils ne pèseront d’aucun poids. Un opportuniste comme Rachid Nekkaz est prêt à faire ruisseler ses dollars pour séduire l'opinion, lui qui a déjà plusieurs fois annoncé la mort de Bouteflika,  mais il y a fort à  parier que sa candidature sera invalidée.

Et quand bien même, l’un des opposants à Bouteflika viendrait à être élu à sa place, aurait-il seulement une chance de propulser le pays vers l’avenir après tant d'années d'immobilisme, oserait-il limoger ses généraux narcotrafiquants ou encore mettre à la retraite des milliers de fonctionnaires corrompus jusqu’à la moelle? Se permettrait-il de traiter les Chinois comme des partenaires et non plus comme des maîtres? Aurait-il le courage de demander aux imams de retourner dans leurs mosquées et de laisser le peuple algérien retrouver le goût de la liberté de penser? Recevrait-il l'allégeance de l'armée dont on sait qu'elle n'est jamais autant l'alliée de l'Etat que lorsqu'elle en retire un bénéfice? Rien n'est moins sûr. 

l'Algérie en 2019
Une islamisation insidieuse qui s'abat exclusivement sur les filles. Un lourd tribut
à payer pour en  finir avec le terrorisme
De ce côté là, l'hiver ne le cédera pas à un hypothétique printemps
Un nouveau mandat de président pour Abdelaziz Bouteflika est certainement pour l’Algérie un mauvais signe de plus du destin, venant s’ajouter à tant d’autres depuis 1962 mais le temps est peut-être venu pour la jeunesse de ce pays pourvu d’un nombre considérable d’atouts, de se préparer à prendre le pouvoir, malgré la menace toujours latente d'une répression brutale. Il faudra pour cela transgresser l'esprit fataliste qui paralyse la société algérienne et se lancer à corps perdu dans la vie politique. Attention seulement à ne pas retomber dans le piège d’une démocratisation trop rapide qui, une fois, encore ne profiterait qu’aux ennemis de la démocratie. Il n’est peut-être plus si éloigné que cela le temps où l’Algérie cessera d’être une forteresse délabrée repliée sur ses drames existentiels pour ouvrir ses portes à un monde impatient de contempler ses richesses. Alors ? L’Algérie ? une bombe à retardement ? Seulement si les Algérien.nes le veulent. Faute de s'être préparés à la relève, le risque est, en effet, grand de voir une partie de la jeunesse chercher un avenir ailleurs, attirée par ce qui reste du mirage européen, formant cette fois une vague migratoire autrement plus submersive que les précédentes. Une telle éventualité risquerait de remettre en cause les équilibres géopolitiques de la région, générant des tensions redoutables.
Réélu ou pas, Bouteflika ne lâchera pas le pouvoir, du moins pas tout de suite. Le tout sera de gagner du temps pour passer le témoin à celui que le clan choisira pour convaincre le peuple qu'il n'y a plus rien à voir. Mais patience, cela ne durera pas toujours, la fin de l'hiver n'a jamais été aussi proche.     

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