lundi 22 juillet 2019

Nadine Morano, dans les pas de Donald Trump


L’ancienne ministre de Nicolas Sarkozy s’est souvent fait remarquer pour son parler dru et son goût pour la polémique. Se définissant comme une femme de la droite, austère, conservatrice et obstinée dans ses convictions, elle cultive, depuis longtemps, la causticité pour qualifier ceux qui s’affranchissent de la ligne du parti.

Nadine Morano
Le parfum de vengeance de la Dame en Noir
Elle vient aussi de montrer qu'elle sait s'inspirer de la méthode de son modèle Donald Trump, consistant à renforcer les clivages pour mieux en tirer bénéfice. Le Président Américain a bien compris que c'est en lui offrant des boucs-émissaires en pâture, qu’il pouvait galvaniser, pour ne pas dire fanatiser sa base électorale. Il s'est choisi pour cela quatre élues démocrates issues de la diversité, leur demandant clairement de retourner d'où elles viennent sous prétexte que leur profil ne correspond pas celui des vrais Américains, pas les Sioux ni les Apaches, mais les anciens colons blancs d’origine européenne, les pionniers qui ont fait des Etats-Unis la puissance qui éclaire le monde armés d’une Bible et d’un fusil.

Pour Nadine Morano, la droite française peut revenir au pouvoir à la condition qu'elle prenne exemple sur la manière dont Donald Trump mène ses campagnes, se servant notamment du réseau Twitter pour dégainer ses accusations et ses commentaires fielleux, ce qu'en Anglais on qualifie de "borderline", tenant d'une doctrine évoluant souvent à la frontière du racisme, tout en s’en défendant. Procureur par réseaux numériques interposés, Trump fait et défait les carrières des uns et des autres, condamne ou élève au pinacle, selon son gré ou son humeur. En s’en prenant violemment à des élues démocrates de couleur, exigeant ni plus ni moins d'elles qu'elles fassent leurs valises du simple fait qu'elles sont en désaccord avec sa politique, il marque le tempo d'une nouvelle ère où vont prévaloir les critères raciaux, pour ne pas dire racistes. C'est tout ce qu'il désire sachant que la radicalisation des comportements peut le servir mieux qu'une attitude de consensus, jugée trop molle pour ne pas dire faible. Et c’est avec le slogan « Send Them Back » (Renvoyez-le) repris en choeur par des supporters déchaînés qu’il a terminé son dernier meeting à Grenville (NC).

Restée dans l’ombre depuis la débâcle des Républicains de François-Xavier Bellamy aux Européennes et surtout la gifle que lui a infligée Viktor Orban, en s’alliant avec Emmanuel Macron pour faire élire Ursula Von de Leyen à la présidence de la Commission Européenne alors qu’elle l'avait vigoureusement soutenu lorsqu’il avait été exclus du PPE, Nadine Morano reparaît d’un coup à la lumière.

Sibeth N'Diaye
Bleu, blanc, rouge, une indignité selon Nadine Morano
Elle a choisi sa cible, Sibeth N’Diaye, la porte-parole du gouvernement. Et fidèle à sa marque de fabrique, elle n’y va pas avec le dos de la cuillère. « Une Sénégalaise bien née, Française depuis peu, une femme vêtue en tenue de cirque, indigne de la fonction gouvernementale ». Nadine Morano l’accuse aussi d’avoir de grosses lacunes en matière de culture française. De quelle culture française parle-t-elle, d'ailleurs ? Le sujet est trop vaste pour le résumer à une petite phrase. 

Pour rappel, le grand-père de Sibeth N’Diaye faisait partie des fameux tirailleurs sénégalais, ces troupes auxiliaires de l’armée française qui ont acquis leurs titres de gloire lors des conflits auxquels la France a participé. Elle a fait ses études en France et possède suffisamment de diplômes supérieurs pour ne pas être confondue avec une épicière du marché de Kermel, malgré tout le respect que méritent les épicières de Dakar. 

Nadine Morano ne devrait pas oublier qu’elle a, elle-même, fait partie d’un gouvernement dans lequel figurait une certaine Rama Yade, une Sénégalaise native de la banlieue de Dakar naturalisée française à sa majorité. De toute façon, le Sénégal, pays francophone, patrie de Léopold Sédar Senghor, qui abrite toujours des forces militaires françaises ne justifie pas l’image teintée de mépris qu’en renvoie Nadine Morano. 

Dans les années 60, les robes à fleur se portaient
très bien sans faire polémique
Le fait d’insister sur les origines africaines de Sibeth N’Diaye est, bien sûr, le bon prétexte pour s'en prendre à ses tenues vestimentaires. On sait que les Sénégalaises ont un goût pour l'extravagance et les couleurs chatoyantes, mais, comme l'affirme Mme Morano, il n'a pas de place pour les les robes à fleur quand on est gouvernement. Y aurait-il désormais un "dress code" particulier pour les femmes politiques? Et pourquoi pas un uniforme ? Là encore, la députée LR se conforme aux invectives de son maître à penser Donald Trump vis à vis des 4 élues démocrates dont il veut faire ses souffre-douleurs. Elles sont effectivement issues de l’immigration et n’ont pas le look de la cow-girl des Appalaches, figure iconique de l’América Great Again

Sibeth N’Diyae n’a assurément pas l'apparence de la Bigouden ni de l’Arlésienne, mais en est-elle blâmable pour autant ? On sent bien dans le tweet de Nadine Morano qu'il y a pour elle incompatibilité entre la couleur de la peau et la dignité de la fonction. Quand on est noir, on ne peut être porte parole du gouvernement d'un pays dont les racines sont blanches et chrétiennes. C’est même un contresens pour certains, voire une trahison pour ceux qui défendent l’idée d’une France unicolore. Dussé-je rappeler à ces gens-là qui vivent très mal de voir une « black » parler au nom du Président de la République sur le perron de l’Elysée qu’il fut un temps où ceux qui parlaient au nom de la France étaient aussi des blancs de bonne famille, ils s’appelaient Pétain, Laval, Doriot, Darnand et toute la clique des collabos qui se prosternaient devant les nazis. En matière d'uniforme, ces gens-là en savaient quelque chose.

Je dirais au contraire que Sibeth N’Diaye a du cran et que si elle affiche des tenues chamarrées, c’est pour montrer qu’elle défend aussi des valeurs plus universelles. Sans trop m'avancer, je pense que la personnalité de Sibeth N'Diaye joue en faveur de la France dans le cadre de ses relations avec le continent africain et qu'elle peut même revêtir la forme d'une reconnaissance auprès de populations souffrant souvent d'une forme d'ostracisme.
Il y a bien sûr une certaine malignité dans le choix de ses vêtements, voire même une part d'outrance, mais n’est-ce pas là le signe d’un tempérament obligé, pour se faire respecter, de ferrailler contre des adversaires qui ont du mal à voir une femme noire loin de ses fourneaux, et ils sont toujours nombreux. Personnellement, je trouve son style audacieux et plutôt redoutable dans le genre, car c’est par ce biais qu’elle piège ses détracteurs en profitant de ce qu'ils se concentrent sur la critique de la forme pour faire passer son message sur le fond. Pas folle la guêpe!
Sa coiffure exagérément Afro est, dans la même veine, un pied-de-nez au conformisme guindé dans lequel sont cloisonnées les femmes politiques, forçant le trait pour bien rappeler qu’en politique, celles-ci sont d'abord jugées à la tribune sur leur apparence tandis que leurs collègues masculins le sont sur ce qu’ils disent.

Et puis, comment ne pas nous arrêter un moment sur le coup magistral du kébab. Nadine Morano est tombée dans le panneau, pensant avoir les Français derrière elle. C'est-ce qu'elle dit mais on a bien compris depuis des mois que la France est partagée entre le tiers qui vote Macron et les 2/3 tiers restant qui sont contre. Cela ne veut pas dire que c'est parce qu'ils sont contre Macron qu'ils votent Morano. C'est comme avec la culture, de quels Français parle-t-elle? Des Gilets Jaunes, de toute évidence, du côté sombre de la France. La culture culinaire de Sibeth N’Diyae est moins celle du Thieboudienne ou du poulet Yassa de son pays natal que celle des Resto U du temps où elle était étudiante: saucisse-purée, rôti de porc coquillettes, poisson pané-riz, etc…. Le kébab, que l’on mangeait il y a vingt ans dans un papier blanc façon boucher, en déambulant entre la Fontaine St Michel et l'Odéon a été pendant longtemps un incontournable du Quartier Latin et de ses rues où l’on pouvait savourer à toute heure crêpes, croque-monsieur et gaufres.

En dehors de Robert Ménard, vexé que Benoit Hamon soit venu à Béziers sans
même daigner le voir, le kébab n'a pas fait de polémique.
C'est peut-être la comparaison avec le homard qui aujourd'hui ne passe plus.
Tout cela ne vaudra jamais un oeuf-mayo maison et sa ciboulette du jardin
Le kébab, selon son inventeur turc, c’est une colonne de viandes épicées, plus appétissante grâce aux parfums qu'elle renvoie de la cuisine orientale que par son affreux aspect bidochard. Elle tourne lentement sur une une broche verticale et c'est avec le coup de main ajusté et à l'aide d'un couteau suraiguisé que le préparateur découpe des lamelles de viande qu’il recueille une à une dans un  pain tranché en deux ; il y ajoute de l’oignon cru et une sauce relevée à base de yaourt grec, de ciboulette et d’échalotes. Pour les étudiants, et notamment ceux qui fréquentaient assidûment les associations de gauche, c’était exotique et pas cher, même s’il restait en bouche comme un puissant goût d’oignon. Certains en ont conservé un souvenir attendri comme Benoît Hamon qui s’est fait prendre en photo à Béziers dégustant, selon lui, le meilleur kébab qui soit. Sibeth N’Diyae aurait pu aussi bien parler de jambon-beurre ou de rillettes-cornichon mais là encore, tous les racistes qui guettent devant leur écran la moindre déclaration prêtant à caution pour envoyer leurs messages haineux et vindicatifs y auraient vu mille raisons de l’attaquer sur le scandale qu’une « black » ait son mot à dire sur de la bouffe bien franchouillarde. Le kébab, c'était tout juste finement joué.

En conclusion, nous voilà entrés, nous aussi, dans cette guerre des tweets inaugurée par Donald Trump où l’on ne s’embarrasse plus de formules alambiquées pour taper sur son vis-à-vis. La politique est devenue une arène où l’on sème les anathèmes et l’on crache à la figure de l’adversaire, le tout devant un public de millions de pseudos, rivés à leur smartphone, soutenant à coups de « like » ou de smileys, leurs champions respectifs. C’est comme ça que l’on gouverne le monde de nos jours. Nadine Morano a, en tout cas, compris que l’avenir se joue dans le politiquement incorrect. Thanks Mr Trump !

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