mardi 23 avril 2019

USA, la Grande Abdication des Républicains

Article de Paul Krugman, journaliste chroniqueur au New York Times (22 avril 2019)

Paul Krugman
Prix Nobel d'Economie en 2008
Bête Noire du Trumpisme

La “fake news” n’en était donc pas une. Une puissance étrangère hostile s'est bien immiscée dans l’élection présidentielle, souhaitant mettre en place Donald Trump à la Maison Blanche. Durant sa campagne, Trump était au courant de l’intervention et l’a bien accueillie. Et une fois au pouvoir, il a tenté de bloquer toute enquête sur ce qui s’est passé.
Nul ne peut oublier ses tentatives pour faire croire que cette histoire n'aurait rien eu à voir avec ce qu’on entend d'habitude par collusion ou entrave à la justice. Le fait est que le locataire de la Maison Blanche a trahi son pays. Et la question que tout le monde se pose est la suivante: que vont faire les Démocrates ?

Mais remarquez que la question ne concerne que les Démocrates. Tout le monde (à juste titre) prend pour acquis que les républicains ne feront rien. Pourquoi ?

Parce que le G.O.P. d'aujourd'hui est tout à fait disposé à vendre l’Amérique s’il le faut pour obtenir des réductions d’impôts pour les riches. Les Républicains n’y pensent peut-être pas en ces termes, mais font preuve d'une totale complaisance.

La vérité est que le gouvernement a fait face à un test décisif en 2016, lorsque presque tous les membres de "l'establishment" Républicain se sont alignés derrière un homme parfaitement connu pour son caractère autoritaire mais moralement et intellectuellement impropre à l’exercice la plus haute fonction.

Dans leur livre glaçant "How Democracies Die,", Steven Levitsky et Daniel Ziblatt appellent cela "La Grande Abdication Républicaine". La volonté du parti de soutenir un comportement qu'il aurait qualifié de trahison s'il était venu d'un démocrate n'a pas d'autre nom.
Levitsky et Ziblatt disent que lorsque les politiciens traditionnels renoncent à leurs responsabilités face à un dirigeant qui menace la démocratie, c'est généralement pour l'une des deux raisons. Soit ils croient à tort qu’ils peuvent le contrôler, soit ils sont prêts à l'accepter parce que son programme croise le leur et qu’il leur donnera ce qu’ils veulent.

À ce stade, il est difficile d’imaginer que quiconque croit encore que Trump puisse être contrôlé. Mais il respecte le programme de "l’establishment" Républicain - certainement plus que ne le ferait tout Démocrate.

Le point clé tient au fait que les Républicains sont rivés à un programme politique profondément impopulaire. Le public américain est largement convaincu que les entreprises et les riches ne paient pas leur juste part d’impôts. De plus en plus, le public s'oppose aux réductions des programmes servant de filet de sécurité tels que Medicaid. Pourtant, autant que je sache, chaque budget du G.O.P. depuis la dernière décennie a adossé une diminution importante des impôts en faveur des riches à une réduction drastique des crédits alloués à Medicaid.

Si l'agenda Républicain est autant impopulaire, comment fait le parti pour remporter les élections ? En partie en mentant sur ses choix politiques. Les réalisations politiques du G.O.P. sont, en fait, principalement liées à sa politique identitaire - la politique identitaire blanche. 
Exploiter le ressentiment racial pour conquérir les électeurs blancs de la classe ouvrière, tout en poursuivant des politiques qui ne profitent qu'aux plus riches, est au cœur de la stratégie politique du parti depuis des décennies. C’est pourquoi, dans un pays de plus en plus diversifié, le soutien républicain est resté extrêmement blanc.

Le trumpisme est, par essence, l’aboutissement de cette stratégie. Les commentateurs continuent de qualifier Trump de «populiste», mais la seule façon dont il s’adresse réellement aux électeurs blancs de la classe ouvrière est de faire appel à leur hostilité raciale. Il y réussit, en partie, parce que c’est la seule chose qui soit sincère de son personnage politique, tout portant, en effet, à croire qu'il est vraiment raciste.

Sa politique de fond a toutefois suivi le programme standard de la droite : en 2017, il a adopté d’énormes réductions d'impôts, principalement pour les entreprises, qui ont profité de manière disproportionnée aux riches et ont presque réussi à abolir l'Obamacare, tout en siphonnant Medicaid.

Cette politique l’a rapproché des hommes d’argent du G.O.P. «Les Républicains aux poches profondes qui ont snobé Donald Trump en 2016 se déclarent à fond pour lui dans la perspective de 2020», rapporte Politico.

Ils le font bien qu'ils sachent que Trump a été installé dans ses fonctions en partie grâce à l'aide russe, que ses démêlés financiers avec des gouvernements étrangers posent d’énormes conflits d’intérêts et qu’il montre systématiquement une préférence pour les dictatures par rapport à nos alliés démocratiques.

Comme je l'ai dit, le G.O.P. est parfaitement disposé à vendre l’Amérique si c’est ce qu’il faut pour obtenir des réductions d’impôts pour les riches. Une fois que vous acceptez cette réalité, deux conclusions s’ensuivent.

Tout d’abord, celui qui attend du bipartisme qu’il traite les conséquences du rapport Mueller – suggérant en particulier que les démocrates devraient attendre le soutien du Parti Républicain avant de procéder à des enquêtes qui pourraient conduire à une mise en accusation – celui-là fait erreur. Trump donne à « l’establishment » Républicain tout ce qu’il veut, c'est pourquoi il maintiendra en place coûte que coûte.

Deuxièmement, il est plus tard qu’on ne le pense pour la démocratie américaine. Avant 2016, on aurait pu se demander si les Républicains seraient prêts, in extremis, à prendre position pour la défense de la liberté et de l'état de droit. À ce stade, cependant, ils ont déjà passé ce test et ont échoué en beauté.
 Le simple fait est que l’un de nos deux principaux partis - celui qui aime tant se draper dans nos couleurs - ne croit plus aux valeurs américaines. Et il est très difficile de savoir si l’Amérique, telle que nous la connaissons, survivra.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Mon top 50 des meilleures chansons du moment

Philippe Martinez : un arrière-goût de lutte finale

                Le moins que l’on puisse dire est que le bras de fer qui oppose régulièrement le gouvernement et la CGT atteint là son p...