dimanche 16 juin 2019

Paris vaut-il un référendum ?



Qui pour investir ? L'Etat est, pour sa part, en bout de piste
La cuisine politicienne s'est trouvé un nouvel os à ronger. La privatisation d’ Aéroports de Paris souhaitée par le gouvernement vient de donner à l’opposition l'occasion de reprendre les hostilités. Après des résultats calamiteux aux élections européennes, les élus Républicains et Socialistes se sont ligués pour faire capoter le projet gouvernemental en lançant la procédure du RIP, le Référendum d’Initiative Partagée. Validée par le Conseil Constitutionnel, celle-ci doit, pour aboutir, recueillir 4,7 millions de signatures. Et c’est reparti....

Voir la gauche et la droite unies contre une privatisation ne manque pas de cocasserie. Il y a, là-dedans, comme un doux air de grande manœuvre. Preuve en est que ni l’une ni l’autre ne s’en cachent, ce qui importe est moins l'avenir d'ADP qu'un nouveau référendum anti-Macron. Après leur déconfiture retentissante aux Européennes, elles s’autorisent une seconde chance, ramassant au passage le Rassemblement National et la France Insoumise. Tous unis dans une même vision de la France! Gaullienne illibérale, Thorezienne jacobine, Mitterando-Seguinienne ou Seguino-Mitterandienne, tout le monde pourra y trouver son compte.

Que la CGT soit contre la Privatisation, rien de plus normal, elle est pour une
société collectiviste. Mais que les Républicains rejoignent leurs rangs
a de quoi interroger sur la santé idéologique de ce parti

Choisir le projet de privatisation d’Aéroports de Paris pour en faire un Référendum anti-Macron est toutefois un drôle de pari. On y ressent la fébrilité de la droite autant que de la gauche face au risque, pour elles, d’être dissoutes dans la recomposition de partis qui s’opère en ce moment dans le pays. ADP, une cause nationale ? Pas si sûr. Une cause parisienne, certainement. On n’est plus à un paradoxe près dans ce pays bipolaire. Il y a 6 mois, la France des territoires, celle des campagnes méprisées par le pouvoir central se soulevait, revendiquant en gilet jaune son droit à ne pas mourir. Et voilà qu’à présent, c’est elle qu’on sollicite pour défendre une institution essentiellement parisienne. ADP, cela concerne d’abord et avant tout Paris et les Parisiens, pas les Provinciaux du fin fond de la France comme moi qui prennent l'avion à Carcassonne et préfèrent aller à Dublin parce que c’est moins cher qu’à Roissy. Alors pensez ! Aéroports de Paris, privatisés ou publics, qu’importe. Ceux qui y transitent ont même l’habitude de s’en plaindre : pas très propre, pas pratique, avec le clair sentiment d’être un groupe d'extra-terrestres dans un club d'habitués. Mais en parvenant à motiver des gens qui ne mettent pratiquement jamais les pieds dans la capitale sauf en s’y rendant par le train, pour défendre le statut d’un établissement dont ils n’ont en fait que faire est un pari qui s’il réussit pourra se prévaloir d’avoir été le Référendum pour ou contre le Président. C’est là tout l’enjeu.

Pour rappel, les Socialistes et les Républicains ont chacun, en leur temps, procédé à des privatisations d’entreprises jusque là détenues par l’Etat, avec plus ou moins de réussite. C’est d’ailleurs en prenant pour exemple la privatisation, selon eux, mal ficelée des autoroutes qu’ils s’opposent vigoureusement à celle d’ADP. Comme si Edouard Philippe et son équipe allaient, stupidement reproduire les erreurs de leurs prédécesseurs.

C’est donc toute l’opposition qui déclare, à l’unisson, ADP bien inaliénable de l’Etat, tout comme ont été sacralisés d’autres établissements publics créés par ordonnance en 1945-46. On n’en attendait pas moins de la France Insoumise, par essence farouchement hostile à l’entreprise privée mais la démarche des Républicains fait plutôt sourire tant elle va à l’encontre de leur propre philosophie. Comment ces gens qui baignent d'ordinaire dans le libéralisme et mènent la chasse aux fonctionnaires, peuvent-ils vouloir maintenir la présence de l’Etat dans des entreprises à vocation purement commerciale alors qu'ils rabâchent à longueur de temps que celui-ci devrait uniquement se concentrer sur ses tâches régaliennes. Un reniement de plus.

La privatisation rapporterait dix milliards d'Euros avec la garantie d'une
modernisation des installations que l'Etat ne pourra jamais assumer.
Mais à quoi bon gagner gros quand on préfère se contenter d'un
pourboire
On a donc compris que la privatisation d’ADP est d’abord une opération anti-Macron.
Mais alors que tout le monde ou presque semble s’y opposer, quelle mouche a piqué le gouvernement pour qu’il décide de céder Aéroports de Paris, présenté comme un de nos fameux bijoux de famille ? Cela parait effectivement d'autant plus incompréhensible que l’affaire est rentable et que l’Etat actionnaire majoritaire en tire un profit non négligeable, chose rare pour un établissement public si on le compare par exemple à la SNCF.

Or, une fois gratté le vernis, la situation d’ADP est, à moyen terme, loin d’être aussi idyllique. Ceux qui défendent avec tant d’ardeur les deux aéroports concernés, Charles De Gaulle et Orly, ne doivent certainement jamais y mettre les pieds car le moins que l’on puisse dire est que les voyageurs qui les fréquentent sont loin d’en être totalement satisfaits. La qualité des services laisse tellement à désirer que Roissy CDG occupe le 121ème rang parmi les aéroports internationaux et Orly le 126ème. Pas brillant du tout. La Restauration et les Boutiques y sont plutôt appréciées mais le manque de ponctualité endémique y apparaît comme un gros handicap. Pour info, c’est l’aéroport de Doha au Qatar qui arrive en tête suivi de Tokyo.

Ce que nous considérons comme un fleuron de nos si chers services publics ne jouit pas d’une aussi bonne réputation que cela. ADP fait du bénéfice, certes, mais comme à son habitude, l’Etat dès qu’il est actionnaire, s’avère d’une formidable gloutonnerie, prompt à avaler tous les dividendes aux dépens des investissements. C’est bien là le problème. On adore, aujourd’hui, clouer au pilori ces actionnaires sans scrupule qui se font verser des dividendes indécents tout en se gardant, par pure mauvaise foi, de reconnaître que dans le genre, l’Etat est le pire de tous.

Au moment où le Brexit, une fois entériné, risque de relativiser la place de Londres dans le cadre de échanges européens, Paris va devoir renforcer ses structures aéroportuaires dans la perspective d’un doublement du trafic, engendrant un coût dont l’Etat ne pourra jamais assumer le financement. Il n’en a plus les moyens. En revanche, ce sont les capitaux privés levés en abondance qui permettront à cet immense chantier de voir le jour.  Rien ne les empêchera pour cela de réinvestir les profits alors que pris au piège de ses déficits budgétaires, l’Etat en est totalement incapable. Un peu comme un propriétaire pressé d’encaisser ses loyers pour rembourser ses dettes mais qui laisse ses biens dans un total délabrement. Qu’on ne s’y trompe pas, le maintien d’ADP en tant qu’Etablissement Public se traduira par la dégradation croissante des aéroports de Roissy et d'Orly, nécessitant à terme une privatisation dans l’urgence plus coûteuse que rentable  

L'angoisse des correspondances ratées en raison des retards. Un mal qui sévit
depuis trop longtemps à ADP
Pour mémoire, ADP est déjà détenu en partie par des capitaux privés dont Vinci et l’Aéroport d’Amsterdam. L’Etat a procédé à deux privatisations partielles en 2006 et 2013, conservant juste un peu plus de 50% du capital. Il pourrait envisager une nouvelle privatisation partielle, se contentant en somme d'une minorité de blocage mais cette option ne présente guère d’intérêt. Pour attirer des investisseurs et surtout se projeter dans l’avenir, il est impératif de donner de la souplesse au fonctionnement et de la marge de manœuvre dans les innovations. Il est vérifié que seul un management privé dispose d’une réelle faculté d’adaptation à la multiplicité des enjeux liés à l’avenir de l’activité aéroportuaire, d’autant que la concurrence ne cesse de se renforcer en termes de qualité de prestations. Le maintien d’ADP dans le giron du service public ne pourra jamais atteindre le niveau d’efficacité exigé pour rester dans la compétition en raison des rigidités inhérentes à l’administration publique et à ses cadres dirigeants, tous hauts fonctionnaires et énarques de préférence.

Que les autoroutes aient été mal vendues, la chose est entendue. La privatisation s’est faite par tranches sans véritable mise en concurrence. Vinci étant déjà en position de force lors de privatisations partielles précédentes, se retrouvait de fait seul à soumissionner et apte à négocier, en sa faveur, les meilleures conditions d’acquisition. La leçon a servi. ADP fera, cette fois, l’objet d’une vente en bloc de manière à pouvoir confronter des offres concurrentes et surtout permettre à l’Etat lde percevoir en retour la prime de contrôle qui devrait représenter jusqu’à 30% du prix de la vente, ce qui n’avait pu être le cas pour les autoroutes.
Le cahier des charges, essentiel dans cette opération, devra être clair quant aux obligations du repreneur. Là encore, on entend se plaindre ceux qui annoncent déjà que cela va être la grande braderie à cent francs. On peut effectivement les comprendre quand on regarde avec quelle légèreté ils ont traité les dossiers de privatisations à l’époque où ils étaient au pouvoir. Maintenant qu’ils n’y sont plus, peut-être avons-nous le droit de croire que nos responsables seront désormais plus vigilants et compétents.
 
Pour rappel:  la police aux frontières n'est pas concernée par la privatisation
Quant à ceux qui, connus pour leur mauvaise foi et leur peur du migrant, ont émis les réserves les plus significatives sur le risque de voir nos frontières disparaître, qu’ils sachent que la privatisation d’ADP ne concerne que les activités commerciales des deux aéroports. Il est évident que les fonctions régaliennes liées à la sécurité des frontières ne sont pas concernées. Il y aura toujours des policiers et des gendarmes pour assurer le service d’ordre et des douaniers pour contrôler les voyageurs et leurs bagages. Et non, ce ne seront ni des milices privées ni des terroristes infiltrés qui feront la loi. Dommage, encore un argument qui ne tient pas.

La privatisation d’ADP devrait aussi permettre d’en finir avec un interminable conflit d’intérêts avec Air France, la compagnie nationale dont l’Etat détient des parts historiques. Cette situation totalement ubuesque qui fait de l’Etat à la fois le fournisseur et le client pourra enfin trouver son dénouement. En l’état actuel des choses, ADP ne peut augmenter ses taxes d’aéroport sans s’opposer à lui-même, en l’occurrence Air France dont l’intérêt est bien sûr de les maintenir au plus bas. Et pour comble, l’Etat qui devrait dans cette situation conserver une sage neutralité, choisit depuis toujours son camp, le même, Air France même s’il y est minoritaire.
Une raison de plus pour sortir de ce dilemme cornélien. Privatiser Aéroports de Paris est non seulement indispensable, mais c’est aussi une assurance pour l’avenir et la garantie de faire de Paris un carrefour d’échanges à l’échelle planétaire. Dans le cas contraire, on ne changera rien. Et le trafic continuera de transiter par Heathrow.

On voudrait saboter le pays qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Deux pas en avant, trois en arrière, c’est ainsi que la France avance (à reculons). Une dernière recommandation :  amis provinciaux, Paris vous a oublié, alors oubliez Paris et laissez les Parisiens régler entre eux leurs différends comme l'on t fait Booba et Kaaris….à Roissy Charles De Gaulle.  

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