Crépuscule sur Manhattan Est |
Les Français seraient aujourd’hui plus de la moitié à voir
d’un bon œil un clone de Donald Trump à l’Elysée. Alors qu’il y a deux ans, encore sous le charme des deux mandats de Barack Obama, ils n'avaient pas eu de mots assez acerbes envers le nouveau locataire de la
Maison Blanche, ils se sont depuis si habitués au tempérament impétueux de son
successeur qu’ils voudraient le même en France.
Un récent sondage avait montré qu’ils étaient pratiquement
50% à accepter que s’installe en France un gouvernement autoritaire. Peut-être
y voyaient-il en creux l’ombre d’un Donald Trump, grande gueule décomplexée,
impulsive, s’embarrassant moins de discours que d’actes spectaculaires.
Il y a plus d’un an, Emmanuel Macron avait plaidé pour que la France retrouve sa grandeur, s’inspirant du slogan de campagne de Donald Trump
« Make America Great Again ». D’aucuns diront que le second a brillamment réussi
tandis que le premier est encore à la peine. Peut-être était-ce plus facile de rendre à un pays comme les Etats-Unis
une grandeur qu’il n’avait, en réalité, jamais perdu que de redorer le blason décidément bien terni de la France.
Le président américain vient d’annoncer qu’il est candidat à
sa réélection. Qui en aurait douté ? Cela fait plus de 3 ans qu’il fait le show,
il ne va pas s’arrêter en si bon chemin.
Il est fier de son bilan, clamant haut et fort que
l’Amérique n’a jamais été aussi forte, aussi radieuse, aussi enviée du monde entier. Pratiquement plus de chômage et une croissance à la chinoise. La recette : une baisse drastique
des impôts et une dérégulation massive. Et tout cela en deux ans !
C’est tout bonnement « inbelievable ». Chapeau l'artiste !
Une pause à Central Park |
A quel prix, cependant. Il a bien fallu prendre quelque part pour le donner aux Américains. En parlant de cela, s'il y a quelque chose d'agaçant dans le discours de
Donald Trump, c’est bien cette propension à confondre "America" et "United
States". Si l’on entend par Américain celui qui vit aux Etats-Unis, l’Amérique
est aussi un vaste continent qui va du Canada au Chili. Donald Trump parle de
son pays comme de l’Amérique tout en bétonnant sa frontière avec ses voisins du
sud. Est-ce à dire que les Mexicains, les Nicaraguayens ou encore les
Guatemaltèques ne sont pas Américains. En fait, pour lui, ils ne sont rien que
des mendiants apatrides tentant de souiller l’Amérique de leurs pieds sales.
Utiliser le mot Amérique lui permet d’acquérir une dimension supérieure, voire une stature universelle. Le doute ne se pose même pas. Pour
sa base électorale, il incarne l’Amérique que Dieu a bénie, celle de la City on the Hill, des pionniers, de la
conquête de l’Ouest.
Après avoir avalé
sans broncher leur stetson durant les huit ans d’Obama à la Maison Blanche, les
afficionados du Trumpisme se sont enfin vengé de cette race qui pour eux n’est
toléré que quand elle est au service du blanc. Quand on voit avec quelle brutalité
Donald Trump exige du gouvernement mexicain qu’il fasse le sale boulot en lui imposant de bloquer les migrants qui voudraient faire le mur, quitte à ce que cela conduise à des drames. Il n'y a aucune gloire à écraser les plus faibles que soi. Mr
Trump, vous passez pour le boss mais vous avez surtout grandi votre pays en abaissant vos voisins. Il n’y a
aucune noblesse d’âme là-dedans, juste le calcul cynique d’un snake-oil
salesman. La chute risquera d’être rude.
Du Madoff là-dedans…. Marchand d’élixir, tel est donc Donald
Trump, ce président qui à l’instar de Ronald Reagan, son inspirateur, a décidé
qu’une baisse drastique des impôts allait enrichir le pays. De la démesure en
trompe l’œil. On se laisse en France impressionner par le miracle américain qui, en deux ans, a réussi à juguler le chômage tout en assurant à ses ressortissants
une croissance miraculeuse. Mais il n’y a qu’à la fête foraine qu’on peut gagner
une poupée de rêve en tirant sur le pompon. Pour n’importe quel économiste qui
se respecte, baisser les impôts profite d’abord aux riches tout en amputant
l’Etat de ses capacités d’investissements. Une telle stratégie ne tient que
dans la perspective d’une croissance soutenue et continue. Or, dans cet univers
mondialisé que l’on déteste tant, bien qu’il soit déjà là et bien en place, les
Etats-Unis ne peuvent s’enrichir sans que quelqu’un paye pour eux l’addition.
Ils ont déjà vampirisé l’Amérique Centrale et tentent par des mesures de
rétorsion de faire de même avec la Chine, l’Iran et surtout l’Union Européenne
en adoubant notamment Boris Johnson, leur flamboyant rabatteur.
Manhattan à l'angle de la 42ème Rue |
Attention
toutefois au retour de manivelle. La hausse des tarifs douaniers sur les
produits provenant de Chine, ce ne sont pas les Chinois qui la payent mais les consommateurs
américains. Quant aux droits de douane qu'ont imposé en réponse les Chinois sur les produits agricoles américains, ils ont d'abord pénalisé les agriculteurs américains eux-mêmes. Donald Trump leur a accordé de fortes compensations mais qui va payer la facture? Autre exemple, le pétrole. Les Etats-Unis bénéficient d’une autonomie
énergétique grâce au gaz de schiste mais celui-ci n’est rentable que si le prix
du pétrole reste élevé. Instaurer un embargo sur le pétrole iranien peut
permettre de maintenir la production américaine à un niveau compétitif mais
pour combien de temps encore. Car une perte de contrôle sur les exportations mondiales aurait pour conséquence une forte baisse du prix du pétrole préjudiciable à l’économie
américaine. Donald Trump ne peut envisager une seconde un tel scénario, mettant de la sorte à contribution ses partenaires du Golfe pour ostraciser l'Iran .
Les convulsions planétaires qu’a provoquées Trump depuis son
élection, ont d’abord eu pour effet d’entraîner son pays dans une forme de conflit larvé avec ses propres alliés, suivie d'un goût immodéré pour l'exotisme politique, fluctuant au gré de sa mauvaise humeur. Ses hausses et ses baisses à l'emporte-pièce des tarifs douaniers, ses rencontres hyper-médiatisées quoiqu'inefficaces avec le dictateur nord-coréen Kim-Jong Un, son soutien sans faille au Prince saoudien Mohamed Ben Salmane malgré l'implication de celui-ci dans l'assassinat horrible du journaliste Jamal Khashoggi, son besoin obsessionnel d'en découdre avec l'Iran sont autant d'exemples de la conduite des affaires extérieures selon le président américain. Pour ce faire, il a compris que le label Air Force One est un instrument de
domination sur le monde et qu’un Tweet intempestif a autant
d’efficacité auprès de l’opinion qu’un ordre de commandement pour un soldat,
reléguant les discours habituels dans la galerie des Antiquités.
Dans les rues de New York |
Il est bon de rappeler que les Etats-Unis sont une république fédérale constitué de 50 états jaloux chacun de leur propre gouvernement
et de leurs lois, l’Alabama venant de nous le rappeler pour le pire. La
présidence a la haute main sur la diplomatie et la défense sans pour autant détenir
tous les pouvoirs car comme dans toute démocratie, le vote et la promulgation des
lois appartiennent à deux chambres, celle des Représentants et le Sénat. Il n'est, à ce titre, pas inutile de rappeler que les élections à mi-mandat ont donné aux Démocrates la majorité à la Chambre des Représentants et que le Sénat est resté acquis aux Républicains du fait que les élections destinées à renouveler le tiers de ses sièges ont eu lieu en majorité dans des états habituellement acquis au GOP.
Personne en France n’aurait parié en 2016 un kopek sur la
victoire de Donald Trump aux présidentielles. Tous les sondages donnaient
Hilary Clinton gagnante et elle a perdu. Elle a obtenu deux millions de voix de
plus que Trump mais l’Amérique étant un état fédéral, ce sont en dernier
ressort les grands électeurs des 50 états qui ont fait l’élection. A l’arrivée
Donald Trump l’a emporté grâce aux voix des quelques états qui tanguent une
fois côté démocrate et la fois suivante côté républicain. En effet, peu importe
de faire campagne en Californie quand on est Démocrate ni dans le Mississippi
quand on est Républicain. Le vote y est scellé d’avance. Il y a, en revanche,
des états où l’on vote selon le sens du vent, des états où finalement se joue à
chaque fois le sort de tout le pays. La Pennsylvanie, l’Ohio, le Wisconsin, la
Caroline du Nord, la Floride sont de ceux-là. Il y a trois ans, Donald Trump y
a fait le plein, faisant perdre à Hilary ses dernières illusions. C’est
justement dans ces fameux « swing states » que Donald Trump a
concentré ses efforts, inondant de messages en sa faveur et d’attaques envers
son adversaire démocrate les électeurs indécis, grâce à ses trolls venus de
Moscou.
Tout cela, c’était en 2016. Nous sommes maintenant aux
portes de 2020.
Donald Trump est parvenu à instaurer de nouvelles règles
fondées sur ses émotions. Il a bénéficié pour cela d’un outil à
se mesure : Twitter. Bref, télégraphique, sans langue de bois. En quelques mots, il
a compris comment souffler en même temps le chaud et le froid sur le monde, s’accordant
le droit de réagir à la seconde près sans laisser le moindre espace à la
réflexion. On dirait que chacun sur cette terre n’agit plus qu’en fonction de
ce que M. Trump en publiera sur Twitter. Et le moins que l’on puisse dire est que la
méthode est d’une efficacité redoutable. Un écran, quelques touches et voilà :
en quelques clics le président américain repeint le monde, vire les uns et les
autres, jette l’anathème sur un dirigeant, en encense un autre, déclare la
guerre avant de se raviser sur presque tout. Twitter serait donc une arme trop sérieuse pour le confier à un dirigeant politique? Avec un truc pareil, il
serait, en effet, capable de déclencher une guerre atomique.
Pour les journalistes français, Donald Trump va vers sa réélection
assurée. Ils en sont même presque ravis à l’avance. Quel retournement de veste.
Nos commentateurs n’en finissent plus de comparer ses formidables résultats en
matière économique avec la situation en France. On l’admire comme il y a 10 ans
on ne finissait pas de vanter Bernard Madoff, le grand sorcier de la finance. Car il faut bien l'avouer, la politique
de Donald Trump a surtout accru de manière exponentielle la dette américaine, comme quoi un
miracle ne s’accomplit jamais sans un petit coup de pouce budgétaire. Par
bonheur, emprunter ne coûtant presque plus rien, à quoi bon s’en priver. Mais imaginons
que Pékin se rebiffe, histoire de se venger de l'affront 5G. La Chine en aurait les moyens en tant que créancier. Et si d'aventure, il lui prenait
de mandater un huissier à la Maison Blanche pour réclamer les 20 000 000 000 000
$ que lui doivent les Etats-Unis, il y aurait comme un certain embarras à
Washington.
Les Américains forcent l’envie tandis que chez nous, c’est
la misère, le chômage, les Gilets Jaunes. Il est vrai qu’aux Etats-Unis, on
peut cumuler plusieurs emplois, travailler 7 jours sur 7. Quelle chance !
En France on n'a pas le droit sauf à s'attirer des ennuis. Aux Etats-Unis, on peut travailler
le dimanche; en France, c’est mal vu, surtout à gauche. Aux Etats-Unis, on extrait du gaz de
schiste là où il y en a; en France il est même interdit d'en chercher. Aux Etats-Unis, on n’a
que faire des émissions de CO2 et des rejets industriels; en France on est montré d'un doigt inquisiteur. Aux Etats-Unis, l’hôpital coûte cher et bien se soigner nécessite d'en avoir les moyens. La santé est un privilège dont les pauvres sont exclus. En France,
l’hôpital va peut-être mal mais riches et pauvres ont droit aux mêmes égards. Aux USA, le
dicton selon lequel il vaut mieux être riche et en bonne santé que pauvre et
malade ne s’est jamais aussi bien porté. Un avantage toutefois pour les Etats-Unis,
on est assuré d’y réussir par le travail. En France, le travail coûte plus qu’il
ne rapporte et relèverait presque de la vocation. Aux Etats-Unis, on n’hésite pas à parcourir des centaines de miles pour trouver un job tandis qu’en France on n’a pas besoin de changer de trottoir pour
percevoir des aides.
Mais rien à faire, Donald Trump reste le grand favori pour les Français. Même les Gilets Jaunes le préfèrent de loin à Macron.
Le soir tombe sur East River et Manhattan Bridge |
Les Démocrates se retrouvent ce week-end à Charlotte (NC) pour
leur premier débat. Il leur faut affûter leurs arguments dans la perspective des
fastidieuses primaires, une tradition qui a fait ses preuves outre-Atlantique
mais décidément peu adaptée à notre culture fondée sur la querelle des egos. Ils
sont à l’heure plus de 20 postulants à l’investiture mais, à l’arrivée, il n’y
en aura qu’un pour affronter l’ogre Trump. La lutte va être rude et l’on sent
déjà le parfum âcre des coups bas, violents, implacables. Face à celui qui a choisi
de conserver sa grandeur retrouvée à l’Amérique, quel pourra être le slogan démocrate
derrière lequel se retrouveront leurs électeurs, pourquoi pas « Our
Nation, Our Pride » « Proud to be Americans » «Fighting for the US » « Future
is US » « Running Back to the USA » « Repair our Nation »…….
et en attendant un slogan anti-Trump, le surnom de Mad Donald ferait assez bien
l’affaire.
Les derniers sondages de la chaîne Fox News, d'ordinaire réputée pour son soutien inconditionnel au Good Ol’ Party ont pourtant donné
Donald Trump perdant contre les 6 candidats démocrates les plus représentatifs.
Furieux, celui-ci s’est empressé de renvoyer les sondeurs, pensant peut-être
que ce ne sont pas les sondés qui font l’opinion mais ceux qui leur posent des
questions. On se croirait revenu au temps lointain du despotisme où il était de
bon ton de flatter les puissants de peur qu’ils ne vous jettent aux
crocodiles. Nous en serions donc arrivés là avec Donald Trump. Pas étonnant. Il
ne peut envisager de perdre les élections et n’hésitera pas si c’est le cas à
mettre tout en œuvre pour contester le résultat, bloquant s’il le faut le pays
pendant des mois. Si les Démocrates l’emportent, il leur faudra de toute façon
un écart important avec Trump, de manière à ce qu’il lui soit impossible de
remettre en cause la validité de l’élection.
Est-ce à dire que la campagne assassine qui démarre peut confirmer cette tendance ? Une majorité de Français espérerait que non si
l’on en croit les stats. Drôle de peuple que le nôtre, incorrigible girouette capable de se
vendre à l’ennemi tout en se croyant patriote. Il est bien évident que l’on ne
peut qu’apprécier le fait que Donald Trump ait répondu oui lorsqu’on lui a
demandé si les Etats-Unis auraient été prêts à intervenir militairement en
faveur de la France si elle s’était trouvée dans une situation comparable à
celle de la Seconde Guerre Mondiale, mais il est aussi évident qu’aucun des autres candidats à l’élection présidentielle américaine aurait dit le contraire.
Le seul fait d’avoir posé la question supposait peut-être qu’on ne savait pas
ce que le Président américain allait dire. Faut-il en conclure qu’il aurait pu refuser
d’intervenir ? On retenait son souffle. Ce n’était donc pas gagné.
La réélection de Donald Trump n’est pas une fatalité, qu’on
se le dise. Et même si on est peu nombreux à croiser les doigts pour qu’il soit
battu, le monde est partout en tension depuis qu’il est à la Maison Blanche. Le
bras de fer avec la Chine n’en est qu’à ses balbutiements et certains y voit
déjà renaître le syndrome de Thucydide, cet historien de la Grèce Antique qui
avait théorisé comme inéluctable la guerre entre Athènes et Sparte, conséquence
d’un rapport de force entre deux puissances rivales incarnant deux conceptions
diamétralement opposées du gouvernement de la cité : Athènes la progressiste et Sparte la
nationaliste. A l’arrivée, ni l’une ni l’autre ne triompheront car surgira un
troisième larron. Ce serait d’ailleurs une formidable leçon pour Donald Trump,
champion du bilatéralisme que de comprendre que c’est souvent un tiers
inattendu qui profite des querelles de couple.