vendredi 2 août 2019

De Video Gag aux réseaux sociaux, ces images qu'on ficelle

1990 -  TF1 lance Vidéo Gag, une émission présentée par Bernard Montiel
et Alexandre Debanne.
Depuis l'apparition du caméscope, il n'est plus nécessaire d'être un
cinéaste pour faire des films. Tous les téléspectateurs sont invités à envoyer leurs
propres cassettes vidéo pour qu'elles puissent passer à la télé.
Une condition: faire rire

Les réseaux sociaux marchent bien souvent dans les pas de cette émission vedette des années 90 dont l'objet était d'amuser le public en diffusant des vidéos amateurs de quelques minutes présentant des scènes cocasses censées avoir été prises sur le vif. Il s’agissait au départ de saisir au vol un comique de situation, mais avec le temps, les vidéos ont perdu de leur spontanéité pour devenir de réelles mises en scène. Pour des raisons d'audimat, il a fallu forcer le trait, allant vers des gags de plus ou plus tordus, voire brutaux.

Tendre, émouvant, rigolo
Faire une chute d'âne, ce n'est pas banal. Le bon tempo pour
passer dans Video Gag
D’un gentil divertissement sans prétention, l’émission qui récompensait la meilleure vidéo de la semaine s’est transformée en un véritable concours de mauvais goût, combinant la farce grossière, l’ironie grinçante et la ringardise la plus consternante. Pour passer à la télé, tout est devenu bon, même le plus mauvais. Vidéo Gag s'est arrêté en 2008, cédant la place à Facebook et autre Instagram. Désormais, passer à la télé est devenu accessoire dans la mesure où il suffit de diffuser ses vidéos sur Internet pour se faire des millions d'amis. Mais là encore, les bons sentiments du départ, la convivialité, le partage, les commentaires complices ont cédé la place à une nouvelle compétition. 

Les tendres images des enfants à la plage ou du gâteau d’anniversaire de Mamie ne faisant plus recette, l’intérêt des Internautes s’est déporté vers un évènementiel plus trash, s’inspirant notamment des jeux vidéos à la mode, la plupart du temps dédiés à la violence. On s’est lancé dans un nouveau concours d’images choc, profitant de la maniabilité d’un smartphone pour filmer sur le vif tout et n’importe quoi. Comme dans Video Gag, on enregistre, on séquence, on monte, on mixe de manière à ne conserver que ce qui peut servir l'effet recherché. On envoie ensuite le résultat sur Facebook, Twitter ou YouTube pour que tous les voyeurs en profitent, les gentils comme les méchants. La vidéo passe alors de compte en compte, devient virale, selon l’expression consacrée et fait l’objet d’un compteur de vues qui permet de vérifier sa popularité sur la toile. Sauf qu’on est plus au temps de Video Gag. Le comique de situation n’amuse plus, à l’image de la société française qui n’a désormais goût qu’à la jalousie, la violence et la haine. Faute d'avoir enfin un mort, on veut au moins du sang comme au temps de la Rome antique où l’on se pressait pour voir les gladiateurs s'étriper et les chrétiens jetés dans la fosse aux lions. 

Dan le flot d'images, il suffit d'une seule pour faire la différence 
Les Gilets Jaunes sont, dans le genre, devenus les champions de cette nouvelle société fabriquée  de toutes pièces par les réseaux sociaux, ivres d’images d'eux-mêmes, de selfies, de costumes stabylo foisonnant de slogans s'autodésignant le peuple. Ils ont tout simplement cru servir de fondement à une nouvelle conscience politique visant à abattre la démocratie, un système selon eux essentiellement corrompu. Investis du sentiment de toute-puissance que génère la violence tant qu'elle est impunie, ils pensent que tout leur sera désormais permis, bénéficiant d'un effet de meute, disons-le, plutôt dévastateur. Forts de cette dynamique et partant du principe que le vote ne sert d'autant plus à rien qu'ils sont déjà, en majorité, des abstentionnistes, ils s'arrogent, au nom du peuple, c'est-à-dire d'eux-mêmes, le devoir de s'attaquer à tout ce qu'ils exècrent, à savoir  les élus, les banquiers et les patrons, tous destinés à faire les frais d'une épuration salutaire dans le cadre d'une nécessaire Révolution Culturelle. C'est pour cela qu'ils détruisent les péages autoroutiers (qu'ils souhaiteraient voir renationalisés afin d'en refaire un service public, comme il se doit déficitaire, renfloué par ceux qui ne prennent pas l'autoroute comme le SNCF l'est par ceux qui ne prennent pas le train), pillent au nom des déshérités les magasins de luxe (on ne les a pas vu pour autant redistribuer les sacs LVMH aux pauvres), saccagent au nom de la loose à la française les bureaux des élus (depuis sa mis en place en 2017, le CETA a surtout profité aux agriculteurs français,et beaucoup moins aux Canadiens, mais qu'importe, on se dévalorise tellement dans ce pays qu'on ne s'imagine même pas qu'une victoire commerciale soit possible), font le salut nazi (quenelle) comme au bon vieux temps du Maréchal (car c'était vraiment le bon temps, marché noir, dénonciations, trafic de cartes de rationnements, la relève en Allemagne à la façon du camarade Georges Marchais, c'est peut-être dans ce registre là que la France excelle le mieux), enfoncent la porte d’un ministère avec un Fenwick, juste pour voir ce que ça va donner sur les réseaux sociaux…. Allez-y, cassez ! vous êtes filmés, entend-on dans les manifs. 

Parfois certaines images échappent au montage et il est trop tard pour
en stopper la diffusion.
La réalité est toujours plus complexe que ce que l'on veut en montrer
La liste peu glorieuse des dégradations en tous genres depuis ce triste samedi 17 novembre 2018 a fait ,à chaque fois, l’objet de vidéos relayées par les réseaux sociaux, avec à la clé, des dizaines de milliers de like et de commentaires anonymes accompagnés de smileys pour bien montrer qu’on est derrière et qu’on en veut encore. Aurait-on assisté à la mort en direct d’un policier qu’ils auraient été aussi des milliers à dire qu’ils avaient aimé. 

La surenchère n’a pas de limite dès lors que c’est pour faire de l’audience. Jean-Luc Mélenchon l’a bien compris, missionnant ses agents à droite et à gauche (plutôt à droite) pour saisir, armés de leur I-phone, le moindre écart policier, la moindre goutte de sang sur la tempe d’un manifestant et le diffuser illico sur les réseaux sociaux comme la preuve que la France est devenue un état fasciste. Là où la démarche perd en légitimité, c’est lorsqu’elle veut faire passer pour instantané ce qui n’est qu’un outil destiné à promouvoir une idéologie. Il suffit de posséder un logiciel basique du genre Video Movie Maker pour couper tout ce qui peut nuire au message que l’on souhaite véhiculer et ne conserver que ce qui va dans son sens, y ajoutant même, pour la bonne cause, un extrait sonore du style « Macron Démission » collant bien à l’image. On n'oublie surtout pas de couper, au passage, le moment où les manifestants s'en prennent à un policier, des fois qu'on puisse imaginer qu'une telle chose puisse se produire

On a basculé dans une véritable propagande ou si l’on préfère dans l’infox généralisée. La différence est que Vidéo Gag voulait à tout prix amuser, même si les ressorts étaient parfois grossiers mais qu’aujourd’hui la vidéo des réseaux est surtout là pour inspirer la haine. Et ça marche diablement bien. On a tôt fait, notamment au Rassemblement National de réagir en blâmant le gouvernement pour sa faiblesse face aux violences, exigeant la démission de Christophe Castaner (une tradition bien française que de demander la démission du Ministre de l'Intérieur : tous y sont passés depuis 50 ans, le dernier en date Bernard Cazeneuve accusé d'avoir assassiné en personne Rémy Sivens. L'année dernière c'était le feuilleton Benalla et la démission de Gérard Collomb qui, pour le coup n'avait rien vu ni entendu; cette année c'est Steve, pauvre garçon, nouveau martyr fort à propos de la folie meurtrière des flics. Un mort, enfin! Pauvre pays qui ne se repaît que de polémique stérile pour esquiver les vraies questions. Et tous nos élus de l'opposition sont unanimes pour condamner ce gouvernement qui ne fait rien contre les casseurs alors que c’est justement ce qui met le public en haleine. Qu’est-ce que ce pays serait ennuyeux si tout le monde se respectait et ne s’envoyait pas de insultes grossières à longueur de temps.

L'instantané n'exclut pas un art maîtrisé de la mise en scène
"Les Gilets Jaunes guidant la Peuple"
En conclusion, Mesdames et Messieurs qui portez un Gilet Jaune dans votre coeur, vous qui chaque week-end continuez de soutenir bon gré mal gré les quelques irréductibles qui battent le pavé pour des causes à géométrie variable, ne changez rien de votre façon infantile de voir la société, tant votre obstination à « vouloir que ça pète pour de bon » vous donne de la matière sur les réseaux sociaux. Certains politiques, parmi les plus « courageux », disons les plus opportunistes, vous soutiennent encore du bout de lèvres, estimant vos dégradations légitimes tout en se gardant bien de les approuver. Légitimes, les dégradations ! ? On a entendu le message. L'opposition politique est la première à oser affirmer que les dégradations sont effectivement d'autant plus légitimes que le gouvernement ne l’est pas, que Macron est un imposteur et que les élus de la République en Marche sont des pantins ou des traîtres. Une minorité bien élue vaut mieux qu'une majorité par défaut. On a donc compris qu’en France, il suffit d'attendre que Marine transforme le plomb en or ou que les Insoumis profitent d'un trou d'air pour instaurer un régime démocratique et populaire pour que l'horizon de dégage, comme dans un conte de fées. 

Par chance le 19 août arrive bientôt et Vladimir Poutine va rendre visite à Emmanuel Macron. Espérons qu’il ne manquera pas de donner à notre Président quelques conseils sur la meilleure façon de réprimer les vagues de contestation qui se succèdent dans nos rues depuis trop longtemps. Car dans le même temps, à Moscou, on purge à grande échelle, on enferme tous les opposants qu’ils soient du peuple ou de l’élite, on traque les apparatchiks trop tièdes jusqu'au fin fond de la Sibérie et on n'y va pas de main morte. Voilà qui aurait certainement de quoi satisfaire en France une certaine opposition nationale, elle qui s’est faite un modèle de la Russie d’aujourd’hui. 
Alors peut-être que Russia Today qui, si l'on se réfère aux Gilets Jaunes serait la seule chaîne à délivrer une information objective cessera de montrer exclusivement des images de flics matraquant des badauds innocents pour s'aligner sur les chaînes de télé moscovites qui, par déontologie, ne montrent jamais d'images de manifestants hostiles au régime. Pour quelle raison? Tout simplement parce qu'il n'y en a pas.  

Ce sera peut-être l'occasion de retrouver l'esprit ingénu et un brin polisson de Vidéo Gag. 



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